Der Panther
(Im Jardin des plantes, Paris)
Sein Blick ist vom Vorübergehn der Stäbe
so müd geworden, daß er nichts mehr hält.
Ihm ist, als ob es tausend Stäbe gäbe
und hinter tausend Stäben keine Welt.
Der weiche Gang geschmeidig starker Schritte,
der sich im allerkleinsten Kreise dreht,
ist wie ein Tanz von Kraft um eine Mitte,
in der betäubt ein großer Wille steht.
Nur manchmal schiebt der Vorhang der Pupille
sich lautlos auf –. Dann geht ein Bild hinein,
geht durch der Glieder angespannte Stille –
und hört im Herzen auf zu sein.
***
La panthère
(Jardin des plantes, Paris)
Son regard du retour éternel des barreaux
s’est tellement lassé qu’il ne saisit plus rien.
Il ne lui semble voir que barreaux par milliers
et derrière mille barreaux, plus de monde.
La molle marche des pas flexibles et forts
qui tourne dans le cercle le plus exigu
paraît une danse de force autour d’un centre
où dort dans la torpeur un immense vouloir.
Quelquefois seulement le rideau des pupilles
sans bruit se lève. Alors une image y pénètre,
court à travers le silence tendu des membres –
et dans le cœur s’interrompt d’être.
Rainer Maria Rilke
Traduction de Claude Vigée (dans Le Vent du retour, Arfuyen).
Récit graphique autour du poème : Grande Échappée, par Bérengère Delaporte, collection Poéstrip, Nathan, 80 p., 23,95 €.
Une panthère privée de liberté. Celle de la ménagerie du Jardin des plantes parisien. Et un poème pour dire, sans tomber dans l’anthropomorphisme, ce qui se reflète dans ses yeux, barreaux de la cage entre elle et le public ? Mais qui est vraiment prisonnier ? À partir de ce poème de Rilke en 1902 (ici traduit par le grand poète Claude Vigée), l’autrice et illustratrice Bérengère Delaporte imagine un roman graphique poignant sur l’emprise quotidienne. Débutant par une visite du zoo, il nous fait entrer dans l’intimité d’une famille apparemment idéale, mais où les tensions et dominations à l’œuvre, jusqu’ici contenues, vont éclater au grand jour. Car derrière la façade d’un couple « beau et amoureux » il y a une situation d’emprise dont Louise, l’aînée, désirant partir faire une école de danse, prend soudain conscience. Elle va tout faire pour ouvrir les yeux de sa mère sur sa situation, afin que « le rideau des pupilles se lève ». Ce volume inaugure une nouvelle collection originale, « Poéstrip », qui a pour ambition d’introduire, par la bande dessinée, à l’intensité des grands poèmes. Une approche contemporaine, incarnée et sensible, loin de tout didactisme, qui atteint son but : donner en quelques traits l’envie de lire libre.
Stéphane Bataillon
(Article initialement paru dans La Croix L’Hebdo n°199 du 15 septembre 2003)