148. Je sens qu’on passe le plus clair de son temps à exercer son pouvoir : de conviction, de séduction, de création, de destruction… À chacun son truc !
149. Je sens que ce jeune chien profite de sa grande taille pour faire fuir les corbeaux mais qu’en réalité, il n’est qu’à moitié rassuré. Un je-ne-sais-quoi d’hésitant dans sa façon de bouger.
150. Je sens devant cet énorme (trois centimètres ?) frelon (asiatique ?) qui entre dans mon bureau (fenêtre grande ouverte) qu’à la place d’une abeille (ou deux), je ne serais pas rassuré – non, pas du tout !
151. Je sens une sorte d’absurdité dans le mouvement de ces chenilles sur le chemin. Celle-ci traverse vers la droite, celle-là vers la gauche. Où se dirigent-elles ? L’une va vers l’est, l’autre vers l’ouest mais il n’y a rien ni d’un côté ni de l’autre. Seulement le risque de se faire écraser.
152. Je sens que contre toute logique, nous allons souvent là où le risque est le plus grand.
Ito Naga
Je sens, Cheyne, coll. « Grands fonds », 80 p., 17 €
Écoutez ce poème (lecture Stéphane Bataillon) :
Astrophysicien amoureux du Japon que son pseudonyme rappelle, le français Ito Naga construit depuis une quinzaine d’années une œuvre poétique et littéraire, accumulant les choses vues, les moments et les gestes de l’existence, dans le sillage de Georges Perec. Son Je sais, somme de petits et grands savoirs relatés en proses poétiques, paru en 2006 aux mêmes éditions Cheyne, l’avait fait découvrir à un large public. Il reprend ici peu ou prou le même procédé sous forme de 469 courtes notes. Des observations, des déductions, des réflexions, dans un patchwork qui laisse la place au doute, aux tâtonnements, à ces émotions en évolution. La fin, peut-être, d’un premier cycle, l’auteur achevant au terme de ce cinquième livre la constitution d’une sorte d’encyclopédie du Tendre, impressionniste et très personnelle.
Stéphane Bataillon
(Initialement paru dans La Croix l’Hebdo n°87)