c’est un lieu insoutenable, entre la rive et l’eau : phare
mouvant là qui se tient, frangé d’écume ou bien de sable
l’eau y charrie bien des épaves qui échouent : coquilles
et nacres sous la mousse, bouteilles aux lièges peu
étanches : mots dilués ; blancheurs rincées de sel, seiches sous le soleil à l’encre évaporée ; tessons de verre qui s’émoussent, couleurs polies de sable comme fumées : lumière opaque ; plastique aussi des algues, morceaux de bois, ivoires d’os : carcasses ourlées de sel ou qui s’ensablent
Grégoire Laurent-Huyghues-Beaufond
Chambre avec vues, précédé d’Arguments pour un graveur (mythographies), Cheyne, 80 p., 17 €.
Écoutez ce poème (lecture Stéphane Bataillon) :
Dans son premier recueil, Grégoire Laurent-Huyghues-Beaufond, dominicain né en 1986 et ancien professeur de lettres classiques, offre une poésie très sensible, comme à fleur de peau. Après un long passage dans un atelier, où le graveur cherche à fixer de ses mots de ténébreuses figures mythologiques, nous voilà dans sa « chambre avec vues », en dehors de laquelle l’eau semble monter inexorablement. Jusqu’à dépasser le bord de la fenêtre et submerger la couche. Le matin, le poète se retrouve à découvert, sortant de la nuit des angoisses. Celle qu’inquiètent « des eaux bien trop placides », ouvrant sur des matins peuplés d’« odeurs de songes et de café ». Le lecteur est comme embarqué par le poète sur un navire dont il ne maîtrise rien, pour traverser la mer insoutenable.
Loup Besmond de Senneville
Retrouvez ce poème dans le n°64 de La Croix L’Hebdo (daté du 8 janvier 2021)