Sous le déchaînement des orages et la foudre,
Au gouffre abandonner la nef, flottant cercueil,
Lâcher la barre, accepter le naufrage, au seuil
De la Nuit s’avancer à tâtons, laisser moudre
Aux meules du Destin son cœur, voir se résoudre
En liquide néant les donjons de l’orgueil,
Au jardin des amours acclimater le deuil,
Offrir son corps aux vers et ses os à la poudre,
D’un sanglant univers écouter les funèbres
Et cyniques chansons, au mur de la prison
Regarder chaque soir s’épaissir les ténèbres…
Soit, mais, debout, je guetterai sur l’horizon
Le mystique reflet des clartés d’outre-tombe :
« Sainte Sion, où tout est stable, et rien ne tombe… »
Théodore Monod
in Philippe François, Anthologie protestante de la poésie française,
Labor et Fides, 520 p., 24 €.
Écoutez ce poème (lecture Stéphane Bataillon) :
Ce poème de « l’homme aux semelles de sable » fait partie d’une belle et imposante réédition de l’Anthologie protestante de la poésie française, menée par Philippe François, étendue aux XXe et XXIe siècles. Comme dans sa première édition, parue en 2011, elle se propose non pas de donner seulement à lire un corpus d’auteurs protestants, mais de voir comment, depuis le XVIe siècle, le surgissement de la Réforme a propagé ses ondes jusqu’aux rives poétiques. Qu’ils soient eux-mêmes protestants (de Clément Marot à Jacques Ellul), auteurs parlant du protestantisme (Victor Hugo ou Pierre Emmanuel) ou adversaires farouches (Ronsard, Claudel), les 136 écrivains ici rassemblés témoignent tous d’un corps à corps avec les mystères d’une foi envisagée. Cette somme intranquille fait résonner et enrichit nos propres formulations de ce que la poétesse Catherine Pozzi nomme « Très haut amour ».
Stéphane Bataillon (@sbataillon)
Chronique parue dans La Croix L’Hebdo n°62 du 11 décembre 2020.