UPPLR #257 : Le jardinier d’amour, par Tagore

Tes yeux m’interrogent, tristes, cherchant à pénétrer ma pensée ; de même la lune voudrait connaître l’intérieur de l’océan.
J’ai mis à nu devant toi ma vie tout entière, sans en rien omettre ou dissimuler. C’est pourquoi tu ne me connais pas.
Si ma vie était une simple pierre colorée,
je pourrais la briser en cent morceaux et t’en faire un collier
que tu porterais autour du cou.
Si elle était simple fleur, ronde, et petite, et parfumée, je pourrais l’arracher de sa tige et la mettre sur tes cheveux.
Mais ce n’est qu’un cœur, bien-aimée. Où sont ses rives, où sont ses racines ?
Tu ignores les limites de ce royaume sur lequel tu règnes.
Si ma vie n’était qu’un instant de plaisir, elle fleurirait en un tranquille sourire que tu pourrais déchiffrer en un moment.
Si elle n’était que douleur, elle fondrait en larmes limpides, révélant silencieusement la profondeur de son secret.
Ma vie n’est qu’amour, bien-aimée.
Mon plaisir et ma peine sont sans fin, ma pauvreté et ma richesse éternelles.
Mon cœur est près de toi comme ta vie même, mais jamais tu ne pourras le connaître tout entier.

Rabindranât Thâkur, dit Tagore
Le Jardinier d’amour, dans Anthologie des poètes indiens, par Georges-Emmanuel Morali et Emmanuelle Leroyer. Éditions du Thé des écrivains. Anthologie seule : 10 cartes recto verso, 17 €. Coffret édition limitée avec une boîte de thé indien : 70 €

Jusqu’où peut-on connaître l’autre, jusqu’où peut-on l’atteindre ? Avec ce poème comme dans le Cantique des Cantiques de l’ancien testament, mouvement d’amour humain et divin se confondent dans une unique formulation. Adresse à la bien-aimée autant qu’adresse à Dieu, le grand poète indien Tagore, né à Calcutta en 1861 et prix Nobel de littérature en 1913, dit à la fois toute la tendresse et tout l’élan nécessaire pour aborder les rives d’un royaume sans limites. Cette anthologie de poètes indiens nous en propose les cartes et les parfums. Publiée par les éditions du thé des écrivains (thedesecrivains.com) elle se compose de 10 cartes enluminées, présentant une biographie vivante de chaque poète et des conseils de première lecture au recto et, au verso, quelques extraits de leurs œuvres. On y retrouve, à côté de Tagore, Mirza Ghalib, Amrita Pritam ou Mahadevi Varma. Des « poésies à se lire » ensemble, en dégustant une tasse de subtil thé indien (fourni dans un coffret limité ou disponible séparément). Une manière très originale de mêler saveur des mots et du palais, pour découvrir une poésie alliant toujours le corps et l’esprit, tendu vers les plus grands mystères.

Stéphane Bataillon

(initialement paru dans La Croix l’hebdo n°257 du 8/11/2024)