UPPLR #253 : L’espérance, par Lessia Ukraïnka

Je n’ai plus ni bonheur ni liberté,
Une seule espérance m’est restée :

Revenir un jour dans ma belle Ukraine,
Revoir une fois ma terre lointaine,

Contempler encore le Dniepr si bleu
– Y vivre ou mourir importe bien peu –,

Revoir une fois les tertres, les plaines,
Et brûler au feu des pensées anciennes…

Je n’ai plus ni bonheur ni liberté,
Une seule espérance m’est restée.

Lessia Ukraïnka (1871-1913)
L’espérance
Choix de poèmes (bilingue) traduits de l’ukrainien par Henri Abril
Éd. Circé, 144 p., 13 €.

Lorsqu’elle écrit ce poème à Loutsk en 1880, Lessia Ukraïnka n’a que 9 ans. Ce sont les tout premiers vers de celle qui deviendra, avec Taras Chevtchenko, l’une des voix majeures de la poésie ukrainienne. Ils font écho à la déportation en Sibérie de sa tante bien aimée, Oléna Kossatch, militante du mouvement de libération de son pays. Lessia reprendra le flambeau, dans ses poèmes et dans ses luttes. Née Laryssa Kossatch-Kvitka en 1871, elle prend dès ses premières et précoces publications, en 1884, un pseudonyme liant son œuvre à la défense de la liberté de sa patrie, alors sous la coupe tsariste russe. La maladie qui la poursuivra jusqu’à sa mort en 1913, une tuberculose osseuse, ne l’empêchera jamais d’offrir une œuvre à la fois classique dans sa forme et moderne dans son propos, développant les thèmes de l’indépendance et du féminisme. Ce poème de dix vers, à la fois simple et puissant, est devenu l’un de ceux que les exilés ukrainiens connaissent par cœur et se répètent loin de chez eux. Le choix de poèmes proposé aujourd’hui en poche par les éditions Circé permet de goûter, au-delà de ce texte, l’élan du « pouvoir rédempteur de la poésie » auquel Ukraïnka consacra sa vie et de conserver, face à la guerre toujours en cours, l’initiale espérance.

Stéphane Bataillon
(Article initialement paru dans La Croix L’hebdo n°253 du 11 octobre 2024)