UPPLR #248 : Jeu réel, par Nanao Sakaki

Si tu as du temps pour bavarder
Lis des livres

Si tu as du temps pour lire
Marche – montagne, désert, océan

Si tu as du temps pour marcher
Chante, chante et danse

Si tu as du temps pour danser
Assieds-toi tranquillement, veinard d’imbécile heureux !

(Kyoto, 1966)

Nanao Sakaki

Comment vivre sur la planète terre (Œuvre complète)
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Danièle Faugeras
Érès, 380 p., 22 €.

Après Abbas Kiarostami ou Federico Garcia Lorca, les œuvres complètes du japonais Nanao Sakaki (1923-2008) paraissent dans la belle collection Po&psy des éditions Érès : un élégant format de poche agrémenté de calques intérieurs et de dessins abstraits et colorés de Johannes Strugalla. L’idéal pour se laisser porter par une voix mêlant contemplations, à la manière des poètes de haïku, et chronique piquante de nos mœurs contemporaines. « Le ciel toujours bleu/La lune toujours pleine/La mer toujours haute/Toi, toujours à te plaindre. »

Après la Seconde Guerre mondiale où, « homme-radar » dans une base aérienne de la marine nationale, il assiste sur son écran au largage de la bombe atomique sur Nagasaki, Sakaki mène une vie errante dans les milieux culturels japonais. Révolutionnaire, Il devient militant pour la préservation des forêts primaires et fonde un groupe communautaire opposé à l’industrialisation. Dès le début des années 1960, il rencontre les poètes américains de la Beat Generation Gary Snyder et Allen Ginsberg. Ses nombreux voyages ultérieurs aux États-Unis ne feront que renforcer les liens avec ce mouvement littéraire croisant dans le poème amitiés vagabondes, énergie du langage parlé et contre-culture. Simple et profonde, tendue et drôle, la poésie de Sakaki est de celle qui accompagne les jours. Comme dans l’un de ces derniers poèmes où l’on imagine sa voix toute proche : « Une pluie battante a passé./ Je compte les étoiles/moi, une étoile de quatre-vingts ans. »

Stéphane Bataillon

(Initialement paru dans La Croix l’hebdo n°248 du 6/9/2024)