UPPLR #237 : Sourdre, par Zoé Besmond de Senneville

Le jour de l’enterrement de mes oreilles
Je ne m’étais pas préparée. Cette mort dedans moi
Et attendre qu’elles ressuscitent. Espérer cela
Mes oreilles, au paradis des oreilles
Ne rien pouvoir faire
Et ma mère qui en fait trop, à côté
Et moi qui pleure sourde pour de vrai
Il faut faire un hommage
Prévoir un enterrement. Faire un rituel
Avaler mes émotions
Ne plus rien ressentir tout ressentir
Faire des actes magiques
Demander à ce qu’elles reviennent
Elles ne reviendront pas
Personne ne ressuscite les morts.
Elles ne ressusciteront pas
Oui, non, peut-être
S’enfuir. M’enfuir
À quatre pattes par terre
Renoncer. Faire le deuil. Faire le deuil de mes oreilles

(C’est
impossible)

Zoé Besmond de Senneville
Sourdre, Maelström Reevolution, 146 p., 15 €

Actrice et écrivaine née en 1987, Zoé Besmond de Senneville a perdu l’audition à l’âge adulte. Elle a fait un récit remarqué de cette épreuve dans Journal de mes oreilles, paru chez Flammarion en 2021. Aujourd’hui, elle prolonge et dépasse cette thématique en poésie. Sourdre, c’est un premier recueil où le motif de l’oreille est l’occasion d’ausculter ce qui rythme les relations d’une jeune femme moderne. Entre anglais et français, plusieurs langues pour arriver à décrire ce qui bouge après cette perte, pendant cette vie. Avec sa famille, avec ses amours, avec son corps. Pour « remonter dedans », « À l’intérieur de ma peau / C’est comme de l’écriture cyrillique / Au début je ne comprenais pas / Il m’a fallu apprendre / Le langage de mes os / De mes ancêtres. »

Sourdre, c’est aussi un album de slam aux sonorités electro, puissant et envoûtant, composé et réalisé par Ernest de Jouy avec les textes et la voix de l’autrice. Paru l’année dernière, il est à écouter, en parallèle de cette lecture, et à entendre avec le cœur.

Stéphane Bataillon
(Initialement publié dans La Croix l’hebdo n°237 du 14 juin 2024)