Écris au dos de la page laissée en jachère
sur le miroir fêlé qui te décloisonne
t’inonde d’un plaisir fugace comme l’éclair
écris le bruit de l’averse sur tes carreaux
la chute de la bougie pliée par la flamme
la voix du premier homme dans la première caverne
puis pleure pour ne pas t’attrister
écris comme si tu étais un arbre érudit
adosse-toi à cet arbre
et tu deviendras un arbre qui lit
Vénus Khoury-Ghata
Désarroi des âmes errantes, Mercure de France, 112 p., 13 €
Dans son nouveau recueil, la grande poète et romancière libanaise Vénus Khoury-Ghata tisse des bribes d’aventures avec les scènes d’une vie quotidienne donnant l’occasion d’un dialogue entre les cultures et les religions. Conteuse, elle interroge l’efficacité de la parole, son pouvoir réel et imaginaire, au-delà des personnages, des éléments, du vent renversant les montagnes. « Comment écrire/quand le tonnerre fait éclater les tympans des vieux mots ». Écrire et raconter sans fin, pour lutter contre le désarroi et laisser l’occasion aux souvenirs et à ceux qui sont partis de revenir, même furtivement pour nous prêter main-forte : « Combien dure la mort ? /doit-on compter les jours à l’envers pour retrouver les absents ». Dans ces poèmes, fragments des derniers rêves, Vénus Khoury-Ghata nous transmet, comme un talisman, les paroles secrètes pour retrouver sa route et ne pas laisser nos peurs nous submerger : « la mer efface ce qu’elle écrit/réécrit avec la même rage/avale son écume/l’homme sage se contente de son bruit ». Un silence nécessaire afin de prononcer son « il était une fois » et enchanter, comme elle, un nouvel auditoire.
Stéphane Bataillon
(Initialement paru dans La Croix l’hebdo n°222 du 1er mars 2024)