Ô joie, souffle enthousiaste,
Quand tu jaillis des cœurs gros de chagrins,
De détresse et de souffrance,
Doux et fécond est ton torrent de volupté !
Sur tes visages, tel un baiser de lumière,
Tantôt tu répands une ineffable rêverie,
Tantôt tu allumes de multiples appels lancinants
Dans les yeux, comme un inextinguible feu.
Tu es semblable à ces sources limpides
Venues du plus profond des montagnes…
Et qui comme les abondants ruisseaux printaniers
Donnent la vie à tous dans leur course.
Fertilisée par les ardeurs de l’hiver,
Aimée par le baiser ivre du soleil,
Tu es parfois une oasis née du sable,
Où d’innombrables lassitudes viennent te bénir.
Ô joie, lumière débordante,
Toi, fontaine enchantée, feu, sacré,
Telle la clarté vivifiante du soleil,
Sois inépuisable pour les cœurs obscurs !…
Missak Manouchian
Ivre d’un grand rêve de liberté, traduit de l’arménien par Stéphane Cermakian, Points poésie, 216 p., 13,90 €
Pour Missak Manouchian qui, avec sa femme Mélinée, entre au Panthéon ce 21 février (lire aussi « La conversation » avec Robert Birenbaum, p. 10), la poésie est ce signe nécessaire pour formuler les élans et la conscience qui le feront entrer en résistance et y laisser la vie. La publication inédite de son œuvre poétique complète, écrite entre 1924 et 1935, donne d’abord à lire les paroles d’un exilé orphelin, ayant quitté à 9 ans son Arménie pour, après de longs détours par le Liban, se retrouver en France à tout juste 18 ans. « Je suis encore adolescent ivre d’un rêve de livre et de papier » écrit-il alors qu’il est embauché avec son frère comme menuisier dans le chantier naval de La-Seyne-sur-Mer (Var). Dans ces textes, déjà, une révolte contre tout ce qui rend les « cœurs désespérés ». Contre tous les sombres poisons, mot qui revient souvent, qui rongent l’énergie et « s’accumulent en mon âme ». Il y oppose une forme d’espoir lucide, non dénué de foi, qu’il convoque pour « donner à vos poumons le large souffle paisible de la conscience ». Une poésie à lire dans les heures sombres de nos vies, pour lentement reprendre des forces « Dans le creuset de l’amertume, avec l’exigence d’une libre ! » À tout prix.
Stéphane Bataillon
( Paru dans La Croix l’hebdo du 16 février 2024)