UPPLR #217 : Événement sans dénomination, par Lev Rubinstein

Absolument impossible.
Tout à fait impossible.
Impossible.
Peut-être un jour.
Un jour.
Plus tard.
Pas encore.
Pas maintenant.
Pas maintenant non plus.
Et pas maintenant non plus.
Peut-être bientôt.
Sans doute bientôt.
En effet, bientôt.
Peut-être plus tôt que prévu.
Très bientôt.
Là tout de suite.
À l’instant.
Attention !
Ça y est !
Voilà c’est tout.
Fini.

Lev Rubinstein, 1980.
La Cartothèque
Traduit du russe par Hélène Henry
Ed. Le Tripode, 288 p., 22 €.

Renversé par un chauffard dans les rues de Moscou le 14 janvier dernier, Lev Rubinstein, né en 1947, était l’une des grandes voix de l’avant-garde poétique russe contemporaine. Documentaliste de profession, il avait développé une forme originale, l’ « écriture sur fiche ». Relevant le langage de la rue et des marchés, il plaçait chacun de ses vers sur de multiples fiches perforées, matérialisées ici par les sauts de ligne, donnant corps au poème et créant, par cette mise en pièces, une expérience sensible pour le lecteur. Il mit ensuite ses écrits en scène, sous forme de performances ou de ballets, avant de se tourner ces dernières années vers l’essai et l’humour. Il faisait partie des écrivains s’opposant publiquement au gouvernement de Vladimir Poutine et à l’invasion de l’Ukraine.

En 2018, les éditions du Tripode ont édité la majeure partie de ses textes dans une belle anthologie traduite par Hélène Henry. Son décès est une – triste – occasion de découvrir sa voix et de la porter en soi. « Si quelque chose doit arriver, nous ne le verrons pas. Si seulement nous pouvions vivre jusqu’à notre propre mort… »

Stéphane Bataillon

(Chronique parue dans La Croix l’Hebdo n°217 du 26 janvier 2024)