longtemps nous avions gambadé
au bord de la falaise
fiers de notre précarité
et méprisant les foules
qui aveugles se précipitaient
vers leur mort
un jour nos chemins se sont croisés
et ce fut comme un signe
un panneau qui disait : par ici le bonheur
et pointait l’abîme
impatients de prouver que nous
à la différence des autres lemmings
nous savions lire
on s’est pris la main et on a sauté
Nancy Huston
Choses dites, photographies de François Jolly, éditions de l’Iconoclaste, 112 p., 14 €
C’est une passion qui tourne mal. Ou peut-être qui tourne naturellement. Des éclats des débuts quand « vie rimait avec ami jusqu’au cœur de la nuit » jusqu’aux névroses qui remontent, aux petites dissonances qui se transforment en ombres : « Chéri, tu m’en as fait voir / de toutes les couleurs // sans parler du noir / si noir ». Quand la rupture passe par un simple et terrible « comme tu m’ennuies » et où la seule question qui reste en suspens est « que feras-tu / de tout ce que je t’ai confessé » ?
Dans cette suite poétique, composée en 1991, diffusée sur France Culture et lue de nombreuses fois en public, la célèbre romancière Nancy Huston revient en poésie sur la confrontation amoureuse, si fragile, de nos identités.
La publication de ces poèmes en bilingue a ici tout son intérêt, les références changeant parfois entre les deux versions : un « Que dirais-tu d’un Go-dard ? » traduisant « an old Hitch-cock now ? », tissage entre deux langues, deux êtres, et le temps d’une vie où le désir cherche toujours un lieu où s’enflammer.
Stéphane Bataillon
(Article initialement paru dans La Croix l’Hebdo n°204 du 20 octobre 2023)