Il y a des mois que j’écoute
Les nuits et les minuits tomber
Et les camions dérober
La grande vitesse à la route
Et grogner l’heureuse dormeuse
Et manger la prison les vers
Printemps étés automnes hivers
Pour moi n’ont aucune berceuse
Car je suis inutile et belle
En ce lit où l’on est plus qu’un
Lasse de ma peau sans parfum
Que pâlit cette ombre cruelle
La nuit crisse et froisse des choses
Par le carreau que j’ai cassé
Où s’engouffre l’air du passé
Tourbillonnant en mille poses
C’est le drap frais le dessin mièvre
Léchant aux murs le reposoir
C’est la voix maternelle un soir
Où l’on criait parmi la fièvre
Le grand jeu d’amant et maîtresse
Fut bien pire que celui-là
C’est lui pourtant qui reste là
Car je suis nue et sans caresse
Mais veux dormir ceci annule
Les précédents Ah m’évader
Dans les pavots ne plus compter
Les pas de cellule en cellule
(Fresnes, 1954-1955)
Albertine Sarrazin (1937-1967)
À l’ombre. Une anthologie de littérature carcérale présentée par Olivier Apert, Le Temps des Cerises, 320 p., 18 €.
Écrivaine et… délinquante. Albertine Sarrazin, après avoir été placée par son père en maison de correction à Marseille jusqu’à ses vingt et un ans, tente un braquage et blesse une vendeuse par balle, ce qui lui vaudra sept ans de réclusion à Fresnes, où elle écrira de nombreux textes sur sa détention. Enfant de l’assistance publique d’Alger, violée par l’oncle de ses parents adoptifs, se prostituant, sa vie ne fut pas simple, mais cette excellente élève tira de ses tourments des romans semi-autobiographiques à succès, L’Astragale et La Cavale, publiés en 1965 par Jean-Jacques Pauvert. Elle est au sommaire de cette étonnante anthologie de littérature carcérale en compagnie de François Villon, Max Jacob ou Olympe de Gouges. Tous et toutes ont, à un moment de leur vie, connu l’enfermement pour des motifs divers, et ont mis cette expérience en paroles. Pour briser l’isolement et dire, au-delà des barreaux, en poème ou en prose, la difficulté d’être privé de liberté.
Stéphane Bataillon
(Initialement paru dans La Croix l’hebdo n°185)