Au village où le deuil a frappé
l’église rassemble les visages
ils sont plus vrais que leurs journées
ils sont endimanchés de vérité
accueillants comme au soir des extrêmes fatigues
ils sourient
car ils ont besoin que l’on vienne vers eux
toute arme déposée toute idée tamisée
par le silence du parvis
labeur et chagrin montent à leurs yeux comme jamais
ils sont encore capables de donner ce qu’ils ont perdu
ou n’ont jamais eu
ils sont soudainement plus grands que nous
on imagine leur maison et le lointain de leur maison
comme une halte en paradis
on s’éloigne sans les quitter
homme et femme liés d’invincible et de patience
Gilles Lades
Ouvrière durée, Le Silence qui roule, 104 p., 15 €
Écoutez ce poème (lecture Stéphane Bataillon) :
L’œuvre poétique de Gilles Lades, né en 1949 à Figeac, se nourrit des paysages du Quercy de son adolescence pour développer un imaginaire où, comme dans les contes d’Andersen, les choses et les êtres parlent. Chaque élément, chaque geste, chaque village, même vide, est ici l’occasion de ressentir une présence de « pleine lumière / douce et profonde sans violence ». En contemplant les vallées, en se laissant fouetter par le vent et les pluies, toucher par le soleil, « L’homme assis ne sait plus / quelle piste l’appelle / quels arbres / le consoleront d’abeilles ». Dans Ouvrière durée, son dernier livre, Gilles Lades joue entre les souvenirs, ce qui est en péril et ce qui, comme la pierre d’un pont bombardé, résistera au temps. Le poème, ici, est un allié sûr pour accompagner nos vies. Leurs joies, leurs drames, mais aussi ces instants de simple solitude, avec la chaleur de paroles transmises pour réchauffer les cœurs en toutes circonstances « l’épouse n’appelle plus / depuis le jardin sonore // ses mots pourtant vivent toujours / à la manière de moineaux / venus en foule à la fenêtre ». Une poésie de crépitements pour passer nos hivers.
Stéphane Bataillon
Poème paru dans La Croix l’hebdo n°166