Il y a simplement
Qu’un mot reconnaît un autre mot
Qui ne lui ressemble pas
Les mots cheminent ensemble
Ils dessinent les couleurs de la paix
Ils écrivent une phrase de concert
Ils invitent d’autres mots à mêler leurs voix
À la fête du temps qui rythme les intempéries
Tes consonnes et voyelles sont des briques de terre
Qui se marient sur une parcelle de la langue
Que tu apprivoises
Tes syllabes veillent à la surface
De tes désirs brimés depuis
Le premier matin où tu as salué
La clarté du temps qu’il fait
Tes accents sont des pierres précieuses
À polir ensemble
À la lumière de rêves anonymes
Dans l’attente du feu d’où jaillit le sens
Tanella Boni
Insoutenable frontière, Éditions Bruno Doucey, 136 p., 15 €
Écoutez ce poème (lecture Stéphane Bataillon) :
La patrie de Tanella Boni se nomme l’écriture. « Nulle part, sinon en elle, je ne me sens à ma place, apaisée, en harmonie avec mon entourage », disait-elle à La Croix L’Hebdo en 2020. Son enfance, à la fin des années 1950, l’a promenée entre de nombreuses villes de sa Côte d’Ivoire natale. Puis elle a étudié en France, à Toulouse d’abord, à Paris ensuite. Poète et philosophe, elle continue, aujourd’hui encore, d’enjamber les frontières, celles des disciplines et des pays.
Toujours, dans un mouvement ininterrompu, à l’image de ses poèmes, murmures délicats dépourvus de point final pour dire aussi cette peau noire « Que tu ne théorises jamais / Parce qu’elle n’est pas un concept », l’harmattan, qui « joue du balafon au clair de la lune » ou « les verbiages / Des possesseurs de voix et de sons ».
Marianne Meunier
(Initialement paru dans La Croix l’Hebdo #163)