Et la mer et l’amour ont l’amer pour partage,
Et la mer est amère, et l’amour est amer,
L’on s’abîme en l’amour aussi bien qu’en la mer,
Car la mer et l’amour ne sont point sans orage.
Celui qui craint les eaux, qu’il demeure au rivage,
Celui qui craint les maux qu’on souffre pour aimer,
Qu’il ne se laisse pas à l’amour enflammer,
Et tous deux ils seront sans hasard de naufrage.
La mère de l’amour eut la mer pour berceau,
Le feu sort de l’amour, sa mère sort de l’eau,
Mais l’eau contre ce feu ne peut fournir des armes.
Si l’eau pouvait éteindre un brasier amoureux,
Ton amour qui me brûle est si fort douloureux,
Que j’eusse éteint son feu de la mer de mes larmes.
Pierre de Marbeuf
Recueil de vers (1628) dans Anthologie de la poésie française,
de Philippe Torreton, Calmann-Lévy, 640 p., 23,90 €.
Pour goûter à la poésie, rien de mieux qu’un passeur qui nous prenne par la main pour nous faire partager ses enthousiasmes. L’acteur Philippe Torreton, après d’autres, nous propose donc une roborative anthologie couvrant dix siècles de poésie française. Il l’avoue dans sa préface, cette anthologie répond à un manque ancien : « Chez moi, on ne récitait pas de poésie, je n’ai jamais entendu mon père dire des vers depuis son bureau. » De La Chanson de Roland, datant du XIIe siècle, jusqu’à des poèmes écrits récemment par des enfants et des adolescents (belle idée de clôture), ce vaste panorama convoque toutes les grandes figures de cet art avec pour chacune un choix d’un à trois poèmes représentatifs. Pierre de Marbeuf, Villon, Hugo, Ronsard, Prévert, mais aussi Christian Bobin, François Cheng ou Tahar Ben Jelloun, avec une large place faite aux femmes poétesses, Louise Labbé, Christine de Pizan et les contemporaines Albane Gellé, Vénus Khoury-Ghata ou Cécile Coulon. Avant l’embarquement, l’ex-sociétaire de la Comédie-Française nous fait une belle promesse, celle du « plus inoubliable des voyages. Un voyage au pays des mots-des-autres ». On ne demande qu’à le suivre.
Stéphane Bataillon