Elle a l’échappée belle
mais qui voit la fenêtre
sinon celui qui s’en vient du dehors
et la compare aux yeux et les yeux aux fenêtres ?
Entre fente et fenouil au dictionnaire
la fenêtre laisse paraître et s’efface.
Et par elle, la découpée, la traversée,
je retrouve la vue
comme s’il fallait le cadre et le diaphane
pour que se montre du visible
et s’enfenestre le présent
elle se fait oublier comme la rhétorique
et nous donne vue sur un tout
porte fenêtre est la fenêtre
par où s’échappe l’échappée
Michel Deguy
Comme si comme ça. Poèmes 1980-2007,
Poésie/Gallimard, 448 p., 14,80 €
Écoutez ce poème (lecture Stéphane Bataillon) :
Philosophe, poète, éditeur, traducteur, revuiste… Michel Deguy, mort à 91 ans le 16 février dernier, n’a cessé d’arpenter les terres du poème. En tous lieux, dans toutes les langues, il œuvra à dresser le cadastre précis et exigeant d’une véritable « géopoétique ». Le poète, pour lui, était ce « nomade qui déserte par horreur de la trace ». Il fut ce passeur de parole, volontiers fougueux et polémique, notamment dans la revue Po&sie, fondée avec Jacques Roubaud en 1977 et toujours éditée avec soin par les éditions Belin. Il ne cessa d’interroger son art et son rapport à la vérité, sous le regard de Hölderlin, de Du Bellay, de Dante ou de Mallarmé qu’il traduisit. En 1995, un livre de deuil profond, dédié à sa femme, À ce qui n’en finit pas (Seuil) tenta de dire le chamboulement provoqué par cette « disparition en mort » dans une grande mélopée usant des blancs disposés sur la page. Pour retrouver (ou découvrir) sa poésie, deux anthologies personnelles, Donnant donnant et Comme si, comme ça sont disponibles en poche dans la collection poésie/Gallimard, maison dans laquelle il travailla de nombreuses années.
Stéphane Bataillon
Retrouvez ce poème dans La Croix L’Hebdo n°121 du 25 février 2022.