Je parcourrai des kilomètres
pour sentir la vie
Je grimperai haut
pour les rivières sinueuses
Je m’allongerai sans bouger
pour le premier brin d’herbe
Je serai silencieux
pour que passe la nuit
Je serai patient
car les couleurs
sont si difficiles à mélanger
Les pensées si lentes à venir.
Pierre Boenig-Scherel
De l’attente et après, traduit de l’anglais par Maïa Brami,
éd. Unicité, 240 p., 16 €
Né en 1935 d’une mère allemande chrétienne et d’un père juif de Bucovine – déporté à Auschwitz, d’où il ne reviendra pas –, enfant caché à la campagne pendant la guerre, Pierre Boenig-Scherel a trouvé dans la poésie une base arrière pour reprendre souffle. Émigré de Paris à New York, il y mena sa vie de psychothérapeute pour enfants, utilisant l’art comme remède. Ses poèmes surmontent le silence d’une quête de vérité et d’une justice qui aurait pu le conduire à la folie. Il s’attache à la contemplation de la nature pour ausculter ses sensations et les retranscrire dans des poèmes limpides. « Se poser/pour revenir en arrière/Pour voir s’élancer/les vapeurs matinales/Fusion progressive/de couleurs fugaces », écrit-il dans son poème « La Pierre de Jacob ». Des pierres, le vent d’automne, une terre gaste à l’opposé des villes. Et lui, qui doute, avec cet ensemble unique de poèmes traduits pour la première fois, aimerait laisser une trace. « Nous n’avions pas besoin/d’arracher notre passé/Nous voulions une route – mais nous ne sûmes jamais assez. »
Stéphane Bataillon
(Paru dans La Croix l’Hebdo n°114 du 7/01/2022)