il n’y a pas lieu de craindre ceux
qui insultent notre insoumission,
les vaincus auront toujours le
dernier mot
j’habite un invisible qui n’a ni
salle de bain ni entrée.
l’invisible n’a pas de propriétaire.
le rêve n’a jamais de murs,
et il n’y fait jamais froid
et mes ombres s’allongent
sur mon corps quand il dort,
et le ciel cesse d’être bleu, et
la lumière attend
nous n’avons pas de grandes actrices
dans nos petites épiceries et nos
hommes exportés par la faim se pressent
dans l’acier de l’hiver
je ne suis pas un fantôme longeant
le fleuve étranger, ni léopard ou
chouette. je suis un courant d’air
si on écrit, c’est qu’on ne peut pas
chanter, si on dort, c’est qu’on ne
peut pas vivre
la plupart du temps, la mémoire
ne sert à rien : les hôtels où j’ai attendu
ont disparu
Etel Adnan
Fil du temps, Galerie Lelong & Co, 118 p., 18 €
Écoutez ce poème (lecture Stéphane Bataillon) :
La grande poétesse, écrivaine et peintre américano-libanaise Etel Adnan nous a quittés le 14 novembre à 96 ans, alors que son œuvre fait l’objet d’une riche actualité. Une exposition autour de l’écriture dessinée, qu’elle a inspirée, se tient au Centre Pompidou-Metz jusqu’au 21 février 2022 et, en librairie, pas moins de trois nouveaux ouvrages font résonner sa voix poétique. Deux recueils, aux éditions Galerie Lelong, Fil du temps et Je suis un volcan, rassemblent des poèmes récents disant à la fois l’urgence d’écrire et de rêver lorsque le temps de terminer sa vie se laisse pressentir. Un récit, Le Maître venu de l’Ouest, aux éditions L’échoppe, lui permet de rendre un délicat hommage, mêlant souvenirs et conte de sagesse, à son professeur Gabriel Bounoure, écrivain qui lui fit découvrir la poésie à l’École supérieure des lettres de Beyrouth au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Une transmission qui se poursuivra, dans chaque regard porté sur ses toiles colorées, sur chacun de ses vers prononcés au secret.
Stéphane Bataillon