Je t’aime comme un départ immédiat.
Je t’aime, on ira s’aimer dans d’autres paysages, loin.
Je t’aime comme un magazine de voyages sur la petite table de l’agence
de voyages, comme au coiffeur attendre en feuilletant les visages et les coupes.
Je t’aime, rappelle-moi sans cesse que le monde n’est pas à ma mesure –
et c’est ça qui est bien.
Je t’aime, ne me laisse jamais seule avec le monde.
Je t’aime comme la lune d’Agadir, entre les deux immeubles haussmanniens.
Je t’aime comme le globe terrestre éclairé dans l’agence de voyages fermée
du dimanche soir.
Je t’aime comme, face à l’agence de voyages, l’agence immobilière
où louer studette ou acheter box.
Je t’aime comme en classe affaires le ciel est plus bleu et mieux servi.
Je t’aime comme chaque escalier est une parcelle de voyage.
Je t’aime, mon voyage, c’est ton retour.
Milène Tournier
Je t’aime comme, Lurlure, 192 p., 21 €.
Écoutez ce poème (lecture Stéphane Bataillon) :
Épousant la forme du « Je me souviens » de Georges Perec, ce nouveau recueil de Milène Tournier, docteure en études théâtrales née en 1988, actualise la déclaration d’amour en projetant un « Je t’aime comme » dans plus de 100 lieux différents et contemporains, classés par ordre alphabétique. D’un abattoir à un zoo en passant par un bar à foot, un passage piéton ou un skateparc, des phrases brèves invitent à explorer ces champs d’expériences, en usant de leurs lexiques particuliers. Une très large palette pour que le sentiment amoureux rebondisse sur les matières, créant une infinité de vibrations. Un nouvel inventaire dynamique de notre modernité, dans un contexte post-Covid où l’espace, où les espaces, ont tant besoin de retrouver position et matérialité. L’essentiel pour qu’ils puissent, demain, devenir les décors de nouvelles histoires et d’amours au secret.
Stéphane Bataillon
(Poème à retrouver dans le numéro 102 de La Croix L’hebdo du 9 octobre 2021)