Mon fils a acheté des jumelles.
Il peut regarder les choses les plus petites
Et son monde devient soudain dix fois plus grand.
La réalité
Ne peut pas être
Aussi vaste, aussi terrifiante.
Mon petit,
Le duvet de cette pêche
Est aussi insignifiant
Que notre solitude
Dans ce pays immense
Les pattes de cette mouche
Ne deviennent répugnantes
Qu’une fois grossies,
Comme nos chagrins
Deviennent tristes
Une fois prononcés.
Ne regarde pas les lignes de ma main
À travers tes jumelles
Sans quoi
Nous nous perdrons
Dans ce dédale de routes,
Ne t’attarde ni sur les pétales
Ni sur les flocons scintillants.
La vie
Souvent
Dévoile ses bords tranchants
Tiens-toi à distance de ses lames !
Mahbouba Ibrâhimi
L’amour, l’exil, la liberté. La révolte des poètes d’Afghanistan,
Anthologie présentée par Olivier Weber et traduit du persan par Belgheis Alavi
Éd. Calmann Lévy, 300 p., 21,50 €
Une chape de plomb est tombée sur les voix afghanes depuis la prise de pouvoir des talibans en août 2021. Pour contourner les interdits, briser les silences et retrouver sa voix, la poésie est une arme de résistance éprouvée. Elle permet de dire en réouvrant l’espace, l’imaginaire, les rêves d’hier face aux cauchemars d’aujourd’hui. Mahbouba Ibrâhimi, née en Afghanistan en 1977, immigre avec sa famille en Iran au début des années 1980 puis retourne dans son pays en 2007 jusqu’à l’arrivée des talibans au pouvoir. Elle vit désormais en Suède où elle continue d’écrire une poésie chantant la liberté. Elle fait partie des 22 voix de poètes et poétesses présente dans cette nécessaire anthologie de la poésie contemporaine afghane. Des poèmes qui, au-delà du constat et du témoignage, en appellent à l’espoir et au combat contre tous les totalitarismes et les théocraties. Pour chaque exemplaire acheté, 1 € est reversé à l’association Gowharshad qui œuvre pour l’émancipation et l’éducation des femmes en Afghanistan.
Stéphane Bataillon
(Initialement paru dans La Croix l’hebdo n°277 du 4/04/2025)