c’était un enfant
(c’est encore un enfant)
c’était la vague
(c’est l’autre vague)
c’était un secret
(ça ne l’est plus)
c’était la première fois
(ce fut la seule)
c’était chez soi
(c’est maintenant chez eux)
c’était vivre avant l’oubli
(c’est oublié depuis)
c’était les yeux fermés un temps
(puis les yeux fermés pour toujours)
c’était un sentiment
(c’est autre chose)
c’était marée haute
(et maintenant regarde)
c’était l’arrière-saison
(puis la saison nouvelle)
c’était s’en aller pour aller où
(c’est revenir car en effet)
c’était tant qu’il en est encore temps
(il n’est plus temps désormais)
c’était la peur sans raison
(c’est toujours elle depuis)
c’était je croyais
(c’est maintenant je sais)
c’était tout peut arriver
(et c’est plus rien n’arrive)
c’était le début de la fin
(puis c’est la fin on recommence)
Éric Sautou
Le souvenir, Ed. Unes, 88 p., 20 €.
Devenir soi. Enjeu fondamental de nos contemporains. Le but affiché, sans toujours avoir été réfléchi, d’une vie réussie. Mais comment faire ? Et si la réponse se trouvait déjà dans les parcours effectués par chacun ? Et s’il suffisait de rassembler, dans un recueil de poésie par exemple, nos bribes de souvenirs pour avoir une idée un peu plus précise de ce qui nous a déjà fait vivre et avoir été soi ? Les morceaux de musique, l’écoute du « coup de tonnerre que l’éclair précède sans bruit », les chapitres maintes fois lus du livre de contes.
Le souvenir d’Éric Sautou, né à Montpellier en 1962 et auteur d’une quinzaine d’ouvrages, dont plusieurs chez Flammarion, est dédié « à toi (qui n’existes pas) ». Les bribes qui le composent disent ce qui a été reçu du monde, ce que l’on a essayé d’y apporter et les failles entre ces deux mouvements : la difficulté à se situer, à se trouver. Dans cet ajustement difficile « les poèmes n’y sont pour rien », mais permettent de libérer les quelques mots utiles. De ceux qui nous diront, lorsque nous serons, nous-mêmes, devenus souvenir.
Stéphane Bataillon
(Article initialement paru dans La Croix l’hebdo n°272 du 28 février 2025)