Il y a beau n’avoir pas de vent
Le drapeau du ciel teint de nuages
Palpite et s’étend sur la terre
Il y a beau n’avoir pas de pluie
Des mares de lumière enlèvent les pavés
(Sans qu’on le voie)
Il y a beau n’avoir pas de soleil
Je suis habillé de chaleur et je vois
Toutes les villes et tous les tout
La nuit ne sait pas te toucher
Tu es trop loin
Et tu es près de moi.
Christian Dotremont
Les grandes choses. Anthologie poétique 1949-1979
Poésie/Gallimard, 416 p., 12,30 €
Se laisser porter par les images. Les laisser résonner en nous pour ouvrir un espace, une pièce intime qui resterait à explorer, car « Autour de la maison / habite l’univers ». Fondateur du mouvement artistique Cobra en 1948 et inventeur de célèbres logogrammes, tableaux d’écritures distordues, en 1962, le belge Christian Dotremont (1922-1979), était aussi poète. Ce livre de poche de la collection Poésie/Gallimard rassemble l’ensemble des poèmes épars, jamais rassemblés en recueils importants de son vivant. Poèmes d’amour surréalistes, mots plantant leurs mille décors dans le désert des pages blanches, description d’une nature où le langage prend forme, en prose, en succession de bribes formant des dialogues collage, en vers suspendus pour mieux ouvrir ces « mémoires d’un imaginiste » : « Or il y avait eu ces images/entre nous et j’avais pensé ». La poésie de Dotremont révèle derrière un impressionnant inventaire du réel ces signes qui résument et subliment toute l’expérience des hommes. « Avez-vous été heureux ? – Oui. Jusqu’à ma peine qui frétillait de joie. »
Stéphane Bataillon
(Article initialement paru dans La Croix l’Hebdo n°267 du 25 janvier 2025)