Un poème pour la route #264 : Il faut bien se rendre compte, par Loréna Bur

Il faut bien se rendre compte du temps qui passe,
long mouvement,
serrement du cœur…

au-dessus de nous à cet instant précis, certains nuages
voient les choses autrement,
passent du blanc au gris
puis du gris au bleu

juste comme ça,
la lumière peut s’énerver

nous n’osons pas

Loréna Bur
Royaume, royaume
Cheyne, 64 p., 17 €

Comme chaque année, les éditions Cheyne publient le lauréat du prix de poésie de la vocation, remis par la Fondation Marcel Bleustein-Blanchet, sous une belle couverture bleu nuit. Un écrin pour accueillir les (presque) premiers poèmes de Loréna Bur. Née à Nouméa en 1998, libraire et étudiante en littérature et études féministes à Montréal, elle avait déjà publié un recueil court, J’ai un trou dans le cœur de la taille d’une brousse, aux éditions 10 pages au carré en 2022. Dans Royaume, royaume, elle nous entraîne en balade dans un monde étrange où ville et nature se mêlent, se brouillent. Où seule une topographie intime, en cours d’élaboration au fil des poèmes, permet de prendre ses marques. Il faut se laisser porter, ne plus s’attendre à rien. Et surtout pas à des réponses : « si je me tourne vers le ciel, je lui pose les questions mystérieuses mais / le ciel ne dit rien, / le ciel reste en dehors de ça ». Un lâcher-prise essentiel pour retrouver ses impressions d’enfances qui permettent le retour aux étés invincibles des plages de Nouvelle-Calédonie : « ces jours bêtes et immenses, ceux fendus par la force, / les pierres ponces sur la corne des pieds quand / je cours avec mon père ». Une poésie généreuse qui invite à goûter l’instant. « Je m’allonge, / un oiseau passe // pas du tout une solitude ».

Stéphane Bataillon

(Chronique initialement parue dans La Crtoix l’hebdo n°264 du 3 janvier 2025)