sur l’aire d’autoroute
pierre avale un sandwich
pierre dit que là-bas
il n’y aura rien à manger
pierre me propose un snack sucré
le visage dans son téléphone
pierre classe ses photos
il parle du changement climatique
il parle des catastrophes météorologiques
tu rétrécis à vue d’œil pierre
tu ne vois pas que tes bras raccourcissent
et que bientôt
ils n’atteindront plus le volant
mais pierre ne voit rien
ses yeux sont des pupilles
dénuées de paupières
sur la route qui défile
les détails de pierre s’effacent
ils se font avaler
par la route qui se déroule
sous nos yeux
Marie Testu
Apocalypse love, Le Tripode, 96 p., 15 €
Pierre et Lucie partent dans une vieille maison pour un week-end romantique dans la vieille maison de famille. Mais sur la route, le couple ne se parle plus. Quasiment plus. Lui dans son téléphone, elle dans ses pensées qui tournent au cauchemar. Très loin du temps où ils s’envoyaient « 1 000 messages par heure ». Des personnages inquiétants lancent à Lucie « nous marchons sur les débris des autres » et « chacun se débrouille avec ses restes ». Les mots et les images s’entrechoquent dans sa tête, devenue maison hantée, à l’image de leur relation. Chacun s’y transforme en bête, sans bras pour s’enlacer. Avec Apocalypse love, Marie Testu propose un second roman poème, après le touchant Marie-Lou-Le-Monde paru en 2021 chez le même éditeur. Une écriture fluide, au rythme parfait, qui fait frissonner en jouant avec l’intime et nous entraîne vers des territoires inquiétants. Des lieux où le silence de la rupture et le désir agonisant explosent en une épopée hallucinée.
Stéphane Bataillon
(Article initialement paru dans La Croix l’hebdo n°235 du 31 mai 2024)