D’où te vient l’idée que c’est toi qui portes le jour
et non l’inverse ?
Que si tu n’en prenais pas les rênes
il resterait comme l’enfant paresseux
au fond de son lit ?
Alors que le café fume tu le vois
par la fenêtre, s’ébrouer dans le ciel mauve
Il n’a pas besoin de toi, encore moins
de ta volonté, pour tirer derrière lui
la couverture de la nuit et faire lever
la maison, le quartier
Anne Dujin
Noyau manquant
Éditions Gallimard, 102 p., 17 €.
Anne Dujin livre avec Noyau manquant son second recueil de poésie après L’Ombre des heures, paru en 2019, aux éditions L’herbe qui tremble. Politiste de formation et rédactrice en chef de la revue Esprit depuis 2020, elle se balade et se pose au fil de ces pages. Dans Paris et sa banlieue, dans un village de montagne. Sur un chantier, sur les touffes d’herbes qui percent le bitume. Elle remarque, pour nous, ces détails et ces termes dont certains artisans usent pour dire le monde : « Ils nomment cela le “chant de la maison” / ces traces que l’eau infiltrée fait apparaître / sur les murs et déplace, imprévisiblement / pendant des mois. » Des relevés quasi topographiques qui se transforment, instantanément, en souvenirs. Mêlés à ceux de l’enfance (le Zorro du dimanche soir, la porte de la cabane de jeux), ils permettent de tisser l’étoffe d’une joie. Un vêtement utile contre le froid, l’épuisement, les fissures intérieures. Une ressource pour toujours rester attentif à « la sève vive qui court » en nous, comme chez l’adolescent qu’elle voit grandir si vite. Un recueil calme et délicat, pour éclaircir l’espace.
Stéphane Bataillon
(Initialement paru dans La Croix l’hebdo n°230 du 26 avril 2024)