Le bon, le beau, le vertueux ami
Fait briller notre visage comme le soleil.
Lorsqu’un homme a près de lui un ami sincère,
Les nuits sombres lui deviennent claires comme le jour.
L’ami sage, intègre et véridique,
Élève toujours plus haut l’homme en sa dignité.
Ce ne serait point trop que d’offrir sa vie pour un bon ami,
Car il est la lampe qui nous éclaire l’âme.
Au moment où les ennemis marchent sur nous,
Un brave et fidèle camarade est notre meilleure épée ;
Lorsqu’un homme, ô Djivani, a un ami dévoué,
Pas un fil de ses cheveux ne blanchit jamais.
(1874)
Djivani
Chanson d’Arménie, Ed. de la Coopérative, 112 p., 14 €.
Djivani, de son vrai nom Sérop Lévonian, né en 1846 à Kartsakh, en Géorgie et mort en 1909 à Tiflis (aujourd’hui Tbilissi) a été le plus célèbre achough de son temps. Ce terme, traduit par chantre, barde ou trouvère, désigne des artistes traditionnels, poètes et musiciens qui composent et interprètent des chansons traditionnelles exaltant l’âme arménienne. Se mettant en scène au fil de ses textes, Djivani jouait du kaman, sorte de violon, pour chanter aussi bien les joies et les peines de sa vie quotidienne que la douleur de son peuple sous le joug ottoman. Un puissant témoignage des premières persécutions turques, annonçant le génocide de 1915, comme dans ce poème de L’Année rouge, se référant à 1895, année des exactions qui, par l’ordre du sultan Abdul-Hamid, ensanglantèrent l’Arménie turque : « Année cruelle pour l’Arménie, année sanguinaire, anthropophage, / Misanthrope comme le hibou, dévastatrice et incendiaire. »
Les traductions, par Archag Tchobanian, de ces Chansons d’Arménie, publiées pour la première fois en 1919 et depuis longtemps introuvables, sont ici rééditées par les toujours exigeantes éditions La Coopérative dans une traduction bilingue. Elles offrent au regard l’étonnante et belle calligraphie de l’alphabet arménien. Extrêmement populaires à leur époque, les chansons de Djivani résonnaient, même au plus sombre, pour faire entendre leurs notes de lumière et annoncer l’amour : « De même que la lune ne vit que par le soleil, / Je ne vis que par toi, ô ma reine ; / Si l’éclat de ton front ne vient m’illuminer, / Ma lanterne allumée s’éteint vite sans toi. »
Stéphane Bataillon
(Article initialement paru dans La Croix l’hebdo n°228 du 12 avril 2014)