Tout un symbole #8 : Le signe de croix, un trésor à portée de main

Dans le signe de croix, le geste et la parole se mêlent pour rappeler et réunir l’essentiel des éléments de la foi. Un trésor vivant de symboles dont les fidèles n’ont pas toujours conscience.

(Chronique « Tout un symbole » initialement parue sur le site de La Croix le 15/12/2024)

À force d’être répétés, les gestes les plus simples et quotidiens de la foi peuvent laisser s’échapper leur signification. Il en est ainsi du signe de croix, riche d’une très profonde et multiple symbolique. Déjà, saint Augustin insistait sur la nécessité de tracer cette figure en conscience : « Beaucoup le tracent sans vouloir en pénétrer le sens. Dieu recherche ceux qui réalisent ses signes, non ceux qui n’en font que le dessin » (Sermon 32).

Il est à la fois signe d’appartenance à la communauté chrétienne et signe de protection, arme permettant, comme l’écrit Théodore d’Antioche (350-428), évêque de Mopsueste, que nous devenions « redoutables aux démons, qu’ils ne puissent plus désormais s’approcher de nous et nous faire de mal », même si cet usage est condamné lorsqu’il est motivé par la superstition.
Dès le IIe siècle, il est mentionné chez l’écrivain chrétien Tertullien (160-220) qui écrit : « Au début et à la fin de toutes nos activités, nous nous marquons le front avec le signe de la croix… » Il trouve son origine dans le judaïsme où les prêtres traçaient sur le front un signe de bénédiction divine en forme de ✝, ancienne graphie du tav, dernière lettre de l’alphabet hébraïque désignant le T de Torah. « Le Seigneur lui dit : ’’Passe par le milieu de la ville, au milieu de Jérusalem et fait une marque (tav) sur le front des hommes qui soupirent et gémissent à cause de toutes les abominations qui s’y commettent » (Ézéchiel 9, 4-6). Ce geste, réalisé avec le seul pouce pour signifier le monothéisme, se retrouve dans le rite romain d’accueil du baptême des enfants.

Un geste du front au cœur
Au fil du temps et de la pratique, cette signation grandit et s’élargit à l’ensemble du corps, enrichissant sa symbolique. Il s’exécute toujours de la main droite, main favorable, celle de la bénédiction, du côté du défenseur, opposée à la gauche, néfaste et porteuse de malédiction dans la tradition : « Ta main droite, Seigneur, a écrasé l’ennemi » (Exode 15, 6).

Les catholiques se signent avec la main ouverte, les cinq doigts évoquant les cinq plaies du Christ. Les orthodoxes, eux, conservent l’usage ancien de se signer avec trois doigts (pouce, index et majeur), représentant la Trinité ; les deux autres doigts sont repliés dans la paume, rappelant la double nature, humaine et divine du Christ.

Accompagné des paroles « Au nom du Père et du fils », le premier mouvement est vertical, de haut en bas, du ciel à la terre. Il marque l’envoi par Dieu de sa parole incarnée en Jésus. Il débute du front, siège de la pensée, jusqu’à la poitrine, lieu de la santé physique et du cœur spirituel, marquant ainsi le recentrage de l’être vers la « fine pointe de l’âme ». Cette relation symbolise le premier commandement : « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée, et de toute ta force » (Deutéronome 6, 5).

Une place dans le monde
Au son de « et du Saint-Esprit », le second mouvement, axe horizontal, rappelle la mort et la résurrection du Christ : il part de l’épaule gauche, côté de la mort et des ténèbres, vers la droite, côté de la lumière et de la demeure céleste. « Le Seigneur Jésus, après leur avoir parlé, fut enlevé au ciel et s’assit à la droite de Dieu » (Marc 16, 19). Il indique aussi la juste place du chrétien parmi les autres hommes dans ce monde, et son devoir d’y agir avec charité et fraternité, en utilisant la force de ses bras. Il illustre ainsi le deuxième commandement : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Marc 12, 31). Marque de la diversité du christianisme, les orthodoxes, en mémoire du signe porté initialement par le prêtre sur le fidèle, réalisent toujours ce geste en miroir, dans le sens inverse du rite romain. Soit de la droite vers la gauche.

Le signe de croix résonne aussi avec la tradition juive des tefilin, petits boîtiers contenant symboliquement la parole de Dieu, attachés à des lanières de cuir pour relier le front du croyant à ses bras, le mental conditionnant l’activité. « Ces paroles que je te donne aujourd’hui resteront dans ton cœur (…). Tu les attacheras à ton poignet comme un signe, elles seront un bandeau sur ton front, tu les inscriras à l’entrée de ta maison », poursuit ainsi le Deutéronome (Dt 6, 5-9). Le signe, faisant du corps la maison, ou le temple, de l’âme, en est, à la suite de l’incarnation, une transposition particulièrement puissante.

Deux axes sans limites
Forme tracée, les deux axes qui se croisent manifestent également la diffusion aux quatre points cardinaux de la parole de Dieu : une diffusion sans limites aussi bien dans l’espace que dans l’ensemble des dimensions de la personne. Une étendue également temporelle, remémorant tout à la fois la passion du Christ et la mémoire de notre propre baptême à l’intersection des deux lignes, passant par la gorge, lieu des cordes vocales, transformant le souffle en parole.

Un « Amen » (« je crois »), termine ce geste racontant toute une histoire, d’un dernier mot, renvoyant au Credo et à notre propre témoignage. Il condense et dit tout de l’adhésion du cœur à ce qui vient d’être proclamé. Itinéraire dynamique, le signe de croix relie et harmonise le front, le cœur et les bras, c’est-à-dire la pensée, la chair et l’action dans une carte corporelle à tracer et à transmettre pour ne jamais oublier l’emplacement de ces trésors. En quelques secondes, ce geste accompagné, mêlant notre souffle à l’air alentour, rend toute la dynamique d’une foi vivante. Un petit miracle, quotidien, et à portée de main.

Stéphane Bataillon