Dans la Bible comme dans de nombreuses religions, l’œil est la partie du corps qui permet à la fois l’accès à la lumière divine comme l’élévation spirituelle. À condition que les intentions de celui qui porte le regard soient droites et pures. Une symbolique qui se retrouve jusque dans les mangas japonais.
(Initialement paru sur la-croix.com le 16 novembre 2024)
« La lampe du corps, c’est l’œil. Si donc ton œil est sain (ou bon, simple), ton corps tout entier sera dans la lumière. » (Matthieu 6,22, Lc 11,34). Lampe du corps et porte de l’âme, l’œil est l’organe de perception physique qui reçoit la lumière extérieure. Mais en lien avec les mouvements intérieurs de « l’œil du cœur », pour la perception intellectuelle, son importance est décuplée, car c’est lui qui permet à l’ensemble de l’être de s’élever jusqu’à la lumière divine. À condition, néanmoins, que ce regard soit d’une « simplicité biblique » c’est-à-dire tourné vers Dieu et sa loi. L’œil, en effet, se réfère d’abord à Dieu dans le christianisme. Signe de connaissance totale, de regard absolu et de présence universelle, il symbolise la Trinité divine s’il est placé, unique sans paupière, dans un triangle équilatéral.
Dans d’autres cultures, les yeux portent ce même symbole d’accès à la lumière spirituelle : chez les Eskimos, le chaman, clairvoyant, est appelé « Celui qui a des yeux ». Dans les Upanishad indiens comme dans le taoïsme, l’œil droit se réfère au soleil (signe de l’activité, du futur) et l’œil gauche à la lune (symbole du passé et de la passivité permettant l’accueil). Ces deux lumières, entre le jour et la nuit, fusionnent dans un symbole de feu : le fameux troisième œil qui dans le bouddhisme, à l’image de l’œil unique chrétien, est celui de la sagesse (Prajnâchaksus) et de la voie, ou loi, le Dharma (Dharmachaksus), « réduisant en cendres » toute manifestation en deçà du divin.
Une lumière qui doit se partager
Mais attention. La porte est à double sens, et il ne suffit pas de percevoir la lumière. La qualité du regard que nous lui portons importe grandement car « si ton œil est malade (ou mauvais), ton corps tout entier sera dans les ténèbres. Si donc la lumière qui est en toi est ténèbres, quelles ténèbres ! » (Mt 6,23). Cette cécité spirituelle a pour cause l’avarice, le manque de générosité. Car la lumière de la lampe, comme celle de la Parole, doit se partager et ne pas être « mise sous le boisseau » (Marc 4,21-25, Lc 8,16-17). Un regard trouble sur l’existence peut aussi nous perdre, et entraîner, dans l’Ancien Testament, un autre regard en retour, celui d’une justice divine gravée dans les vers du poème « La conscience » de Victor Hugo : « L’œil était dans la tombe et regardait Cain ».
Cette importance de l’œil, comme organe récepteur et émetteur de la lumière, signale également, par sa forme, la qualité humaine et spirituelle de la personne. Dans les mangas, certains personnages sont dessinés avec des yeux disproportionnés. Les Japonais considèrent les yeux comme les « miroirs de l’âme » : ils sont la partie du corps permettant, au fil d’un récit, d’exprimer le mieux les émotions des personnages, favorisant l’empathie du lecteur. Dans les comédies romantiques, les shôjo manga, ils peuvent ainsi faire ressentir au mieux les bonheurs des rencontres amoureuses.
Porter sur nos vies un regard enthousiaste, goûter chaque moment ensemble pour une vie radieuse. Voilà, en ces temps de tensions, un projet qui vaut peut-être mieux que la loi du talion de l’Exode (Ex 21,24) : « œil pour œil, dent pour dent » !
Stéphane Bataillon