Outil de communication entre ciel et terre, entre l’homme et Dieu, l’échelle est aussi le support de méthodes sûres pour la croissance spirituelle de chacun.
(Article initialement paru sur le site de La Croix le 15/09/2024)
C’est un simple objet du quotidien, rangé dans nos placards ou nos abris de jardins, mais qui concentre toute une quête. Un outil dont on se sert lorsque l’élément à atteindre apparaît hors de portée : deux montants reliés par des barres transversales pour monter ou descendre. L’échelle représente l’axis mundi, l’axe du monde de la mythologie, unissant le ciel et la terre. Elle a en partie la même signification que l’arc-en-ciel, l’arbre ou le pont. Signe de verticalité, d’ascension, d’élévation spirituelle et de réalisation mystique, elle est aussi un signe de réconciliation entre Dieu et les hommes.
La plus célèbre, l’échelle de Jacob, se trouve dans la Genèse (Gn 28, 10-19). Dormant en pleine nature, Jacob voit en songe une échelle (ou un escalier selon les traductions), « dressée sur la terre, son sommet touchait le ciel, et des anges de Dieu montaient et descendaient». S’ils montent, avant de descendre, c’est pour montrer à l‘homme le mouvement à accomplir. À son réveil, Jacob s’écrie : « Que ce lieu est redoutable ! C’est vraiment la maison de Dieu, la porte du ciel. » Dans l’évangile de Jean (Jn 1, 51), Jésus rappelle cet épisode face à Nathanaël : « Vous verrez le ciel ouvert. »
Mais ce symbole n’est pas propre au monde judéo-chrétien. En Islam, Le Livre de l’Échelle de Mahomet, faisant partie d’un ensemble de récits traditionnels, relate l’ascension (Miraj) jusqu’à Dieu du prophète en compagnie de l’ange Gabriel durant un voyage nocturne (Isra). On retrouve une échelle du ciel dans le shintoïsme et, dans le bouddhisme, elle permet à Bouddha de descendre du mont Meru, domaine des dieux, grâce à une échelle faite de deux nagas, divinités aux corps de serpents. Chez les anciens Égyptiens, l’échelle de Ré faisait communiquer les deux mondes et permettait de voir les dieux. Signe de chance, ils pouvaient d’ailleurs en porter une sur eux sous forme de petite amulette.
Mais l’échelle va plus loin qu’un simple canal entre les mondes. Elle offre, par ses barreaux, de précieuses indications pour réaliser sa propre évolution spirituelle. Une élévation progressive, rythmée et encadrée, menant vers le haut des montants, de nature céleste. À condition d’être complète, l’échelle assure, sans risque de trébucher, la réalisation de l’homme et l’union à Dieu.
Le nombre de ses échelons est hautement symbolique. Une échelle à sept barreaux, chiffre souvent présent dans la Bible, marque ainsi la plénitude et l’achèvement d’un cycle. C’est le nombre de degrés choisis par le mystique flamand Jean de Ruysbroeck (1293-1381) pour son « échelle d’amour spirituel » : volonté, pauvreté volontaire, pureté du cœur et du corps, humilité, noblesse et introspection doivent mener à l’union de l’âme avec l’essence divine, ultime étape de la vie contemplative.
L’image sera particulièrement utilisée dans la littérature monastique. Dans L’Échelle des moines, de Guigues II le Chartreux (1114-vers 1193), le prieur de la Grande Chartreuse systématise la méthode de la lectio divina en quatre échelons pour passer de l’accueil de la parole à la contemplation divine et à l’action : Cherche en lisant (lectio), Et tu trouveras en méditant, (meditatio) ; Frappe en priant (oratio) Et tu entreras en contemplant (contemplatio).
Personne mieux que saint Jean Climaque n’a nourri le symbole de l’échelle céleste. Ermite puis supérieur du monastère du Sinaï au VIIe siècle, Jean Climaque (dont le nom vient justement du grec klimaks, échelle) développe dans son Échelle Sainte un véritable guide de la vie intérieure. « Puisse cette échelle t’apprendre l’enchaînement spirituel des vertus » écrit-il, détaillant autour d’une échelle à trente degrés les multiples aspects de la vie contemplative, du renoncement à la charité, degré ultime de l’élévation. Toujours dynamique, l’échelle est un support à partir duquel la montée extérieure revient, parallèlement, à descendre au plus profond de soi, à cette cime qu’est son cœur et « passer de l’écorce à l’amande ».
Qu’elle ait quatre, sept ou trente échelons, le tout n’est pas tant d’y monter que de savoir en redescendre et retourner dans le monde pour mettre ces enseignements en pratique, et inspirer les autres. Comme l’écrit l’historien de l’art Christian Heck dans son ouvrage L’Échelle céleste dans l’art du Moyen Âge (Flammarion, 1999). « Cette allégorie est aussi la reprise du thème néoplatonicien de la remontée vers le lieu d’origine, mais à travers la conception spécifiquement chrétienne que lui donne la théologie de l’Incarnation. Image paradoxale, qui invite à l’élévation par l’abaissement, l’échelle céleste ne sépare pas la montée – par la contemplation – de la descente – par compassion. » Se mettre au service des autres, doté d’un sens de l’humilité qui est le signe de la plus grande sagesse, du ciel à la terre est bien, au final, le mouvement à suivre.
Mais gare aux faux pas ! Car selon de nombreuses superstitions tenaces, apparues à partir du XVIIe siècle, « passer sous une échelle » est de mauvais augure. Le mouvement, horizontal et non plus vertical promettant, selon les pays, la pendaison, l’impossibilité de se marier ou l’assurance de… se jeter dans les bras du diable ! C’est aussi, plus subtilement, parce que cette fausse route pourrait signifier la volonté du pauvre passant de refuser l’élévation spirituelle. De quoi méditer lors de nos prochains travaux en hauteur. À condition, évidemment, que l’échelle soit bien tenue.