Quand je me deux
de Valérie Rouzeau
La Petite vermillon, 112 p., 6,70 €
« Papa dit qu’il a des soucis/Maman aussi/Mémé dit que ça fleurit jaune/Aujourd’hui nos maisons sont loin/Quand je me deux. » Se douloir. Le verbe, venu du Moyen Âge, signifie souffrir. Mais quand Valérie Rouzeau l’utilise, c’est l’inverse qui se produit. Sa poésie remplie d’assonances, d’images télescopées, de ritournelles et de comptines a le rythme et la chaleur d’un souvenir de vacances qui colore le réel, même quand le ciel est gris. Chez d’autres, ce ton enfantin agacerait. Chez elle, signe d’un sincère retour à la langue, il enchante et rassure. Après 25 recueils, dont un prix Apollinaire pour Vrouz paru en 2021, entre l’humanisme d’un Desnos et le jeu d’un Queneau, elle peut continuer à dire « Je ne me tiens pas bien à carreaux ». On la rejoint.
Dans le retrait des granges
de Christian Sapin, gravures d’Olivier Besson
Cheyne, 64 p, 17 €
« Les granges n’ont pas d’adresse. Pas de numéro affecté à leur angle. Pas de nom d’impasse à l’entrée du sentier. Elles sont isolées de la parole. Du lieu-dit. » En se penchant sur ces espaces indéfinis, pourtant chargés de tant d’imaginaire, Christian Sapin, archéologue et historien de l’art né en 1948, montre le chemin d’un refuge possible pour préserver nos rêves. Accompagnés par les gravures en jaune et noir d’Olivier Besson, ces courts fragments racontent ces lieux, abandonnés ou remplis de vieux livres, comme des espaces-temps laissés en jachère pour contempler d’autres lumières. Et alors, on remarque que « Quelqu’un a tracé sur la terre des cercles argentés/S’y trouvent les mots et les légendes ». La parole peut reprendre.
You
de Chantal Neveu
La peuplade poésie, 88 p., 14 €
C’est l’histoire d’une rencontre. Une relation amoureuse racontée d’un seul bloc, long poème de plus de 60 pages, sans arrêt, sans titres, mais constitué de vers très courts, se résumant parfois à un seul mot : cage, sacré ou agilité. Une traversée des émotions, des faux pas et des béatitudes, de tout ce qui se joue quand deux êtres se rapprochent. À partir des premiers détails saisis chez l’autre ( « avant ses pupilles son haleine/je regarde sa bouche/les sillons les monts/cercle rétréci des iris ») on se laisse emporter par le point de vue féminin de cette histoire, au fil de ce qui se joue, se pense, s’observe, se lie et se délite, jusqu’à la rupture. Jusqu’à se retrouver, seule, mais changée : « repartir/du belvédère/mortelle/désinvolte/au gré/plain-chant. »
Le huitième pays
de Jila Mossaed, traduit du suédois par François Sule
Le Castor Astral, 144 p., 14 €
« Je vais chercher la valise/qui a longtemps attendu/dans le coin de l’angoisse. » Iranienne née à Téhéran en 1948, Jila Mossaed a fui son pays en 1986, lors du règne de l’ayatollah Khomeini pour se réfugier en Suède. Se mettant à écrire en suédois une œuvre reconnue et intégrant en 2018 la prestigieuse Académie suédoise, elle n’a jamais cessé de témoigner des parfums, des terres et des révoltes emportées avec elle. Pour que l’exil ne puisse pas rompre son essentiel. Dans ce nouveau recueil, elle transforme cette matière vive, en une terre nouvelle au-delà des langues. Un huitième pays qu’elle nous propose d’habiter, sans pus de place pour l’injustice : « J’ai ouvert toutes les fenêtres/Les hippocampes se sont glissés à l’intérieur. »
Articles initialement parus dans le cahier Livres & idées de La Croix du 20/01/2022