Que peut la poésie pour ce monde ? Pour nous ? Que peut cet acte de création, d’agencement de la parole, pour nous aider à vivre ? C’est à dire nous accompagner, en résonance, dans la reconnaissance des infimes variations de nos réalités. Une brise de vent, l’oscillation d’une fleur, une araignée qui court, à la première vibration de nos pas, se cacher entre la plinthe et le parquet. Des papillons envahissant les placards mais s’immobilisant dès que l’on ouvre la porte. Un regard étranger qui nous interpelle. L’irruption du bizarre et de l’incongru. Une phrase que l’on retient. Un désir qui surgit. Un « ah, il fait comme ça, lui ? »
Quelle résistance permet la poésie ? Avant l’engagement qui prendra la place de l’autre. Réduira l’autre moitié des arguments. Avant l’utilisation de la langue pour convaincre.
Quelle résistance ? C’est à dire quelle liberté de ne pas plonger tout de suite ? D’observer, de prendre son temps face au monde. De confirmer, à son rythme profond, ce désir de vie simple, sans trop de ce pouvoir saturé de paroles blêmes. Sans d’attrait pour des richesses dont la contrepartie est toujours vol du temps. Effraction dont le constat se fait trop tard, lorsque le corps, l’esprit, cèdent.
Que peut la poésie pour nous aider à suivre cette intuition qui ne cesse de se creuser, au contact des mots d’Albert Schweitzer : « Le bien, c’est de maintenir et de favoriser la vie ; le mal, c’est de détruire la vie et de l’entraver. » ? Des mots sans saveur apparente, mais qui, au contact du réel, formulent au plus juste une éthique tenable. Une éthique sans éclats, laissant libre les ombres, les failles et les pulsions s’accommoder ensembles à l’intérieur de nous. Une qui ne nous empêche pas de tuer l’araignée, d’écraser les papillons, ou de ne pas répondre au regard de cet autre. Mais en ayant conscience.
C’est à cela que la poésie peut aider. À remédier à notre inconscience.
À dynamiser notre humanité.