Remarque, hier, d’une proche : “Mais ta poésie ne sert à rien, ne fait rien pour aider à résoudre les immenses difficultés du monde, ne s’engage pas, est, finalement, un peu égoïste.” Pause. Doute. Et si tout cela ne faisait qu’ajouter du bruit au bruit ? Une vanité de plus ?
J’espère que non. J’essaye de créer quelque chose, un objet-poème. Un ensemble de matière-mot que je taille et affine, précise, décharge, dans un double but : certes que l’ensemble chante pour moi. Qu’il me procure une très légère et fugace euphorie qui justifiera, quoi qu’il se passe, cette journée de plus. Mais c’est bien pour qu’il puisse, ensuite, et chargé de cette vibration transformatrice, résonner chez l’autre. Lui procurer aussi, par ces mots, quelque chose d’inutile et d’essentiel : une émotion inattendue.
Pour contribuer à intensifier l’énergie du vivant.
Un tweet, d’un ami inconnu, vient, comme toujours par hasard, me rassurer un peu : « Lorsqu’au bureau les heures se font oppressantes, je prends quelques minutes pour lire les derniers poèmes de @sbataillon. Au final, peu importe la tyrannie de l’urgence, puisque « Une rose s’est épanouie / dans la froidure des lunes »
Je ressaisis ma pointe
dès l’aube du jour qui vient
Sans cesse travailler
à la taille des menhirs.
3 Commentaires
Bonjour, je serais heureux de recevoir votre Gustave !
Bonjour,
Il suffit d’inscrire votre email sur cette page : https://www.stephanebataillon.com/gustave/
Le prochain numéro sortira dans quelques jours.
Bonne journée et merci de votre intérêt,
Stéphane Bataillon
Les commentaires à cette note (postés lors de la publication sur Facebook) :
@Anne Liotard
Poésie
Essence même de la vie
Merci poète
Le doute en fait partie
Merci
@Bruno Doucey Les propos de cette « proche » de Stéphane et la réponse de ce dernier ne me laissent évidemment pas indifférents. Sans polémiquer, je voudrais inviter cette personne, que je ne connais pas, à lire et méditer cette lettre que le poète Hermann Hesse adressait à son fils Martin en avril 1940, à propos de la rédaction d’un poème intitulé « Un air de flûte », qui ne servait à rien, lui non plus, dans le contexte tragique de la Seconde Guerre mondiale. Lisez ce texte. Lisez-le jusqu’au bout…. « Je te joins la dernière version de mon nouveau poème. Car, en dehors des tâches quotidiennes purement formelles, je n’ai à proprement parler rien fait d’autre que retravailler cette version ; elle est née après huit à dix versions intermédiaires et doit maintenant s’arrêter. Oui, c’est drôle : pendant que la moitié du monde se tient prête dans des tranchées et des bunkers, des forteresses et des bateaux de guerre, des arsenaux et des usines, à réduire en poussière le monde entier, j’étais occupé des jours durant à donner de mon petit poème une meilleure version. Ça s’est fait ainsi : le poème eut d’abord quatre strophes et n’en a plus maintenant que trois, et j’espère que, de cette façon, il s’est simplifié et amélioré, et n’a rien perdu d’essentiel. Dans la première strophe, le quatrième vers m’avait dès le début dérangé, c’était manifestement un pis-aller, et, à l’occasion de fréquentes copies à l’intention d’amis, ma gêne crût, ce vers me semblait de plus en plus raté, bouche-trou, ennuyeux. Et je me mis avec sérieux à tapoter et examiner vers par vers, mot par mot pour trouver ce qui était indispensable et ne l’était pas.
Neuf dixièmes de mes lecteurs ne se rendent absolument pas compte s’il s’agit de cette version-ci ou de cette version-là du poème. Du journal qui l’imprimera je recevrai, si tout va bien, dix francs environ, quelle que soit la version. Pour le monde, cette espèce d’activité est donc une absurdité, un jeu, quelque chose de comique, plutôt une folie, et on peut se demander: comment il se fait que l’écrivain se fasse tant de soucis pour quelques petits vers et gâche ainsi son temps ?
Et on pourrait répondre: ce que fait le poète n’a probablement aucune valeur, car il est invraisemblable qu’il ait fait l’un des très rares poèmes qui, après lui, continueront à vivre pendant cent, cinq cents ans – mais pourtant ce drôle d’individu a fait quelque chose de plus inoffensif, de moins grave et de plus souhaitable que ce que fait aujourd’hui la majorité des hommes. Il a fait des vers et enfilé des mots, en revanche il n’a ni tiré, ni dynamité, ni répandu des gaz, ni fabriqué des munitions, ni coulé des bateaux, etc. etc.
Et on pourrait aussi répondre que le poète trie, pose et choisit ses petits mots au milieu d’un monde qui, demain, sera peut-être détruit ; c’est exactement ce que font les anémones, les primevères et d’autres petites fleurs qui, maintenant, poussent dans toutes les prairies. Au milieu d’un monde qui, demain, sera peut-être recouvert de gaz, elles forment avec soin leurs pétales et leur corole, avec cinq ou quatre, ou sept pétales, lisses ou dentelés, toutes aussi exactement jolies que possible. »
(Lettre de Hermann Hesse à son fils Martin Hesse d’avril 1940)
@Jong Jong Joëlle Abed
Et respirer, à quoi cela sert-il ?
@André Clavelle
Ta poésie existe telle qu’elle doit exister puisque c’est la tienne. On ne fait pas de poésie avec des intentions. On écrit parce que le poème cogne à la porte de la page blanche et qu’on ressent l’impérieuse nécessité de la lui ouvrir cette porte. Donc utile parce que vitale. Continue d’écrire ce que tu dois écrire Stéphane aussi parce que poète et simple lecteur, j’aime te lire !
@Armelle Pineau
La poésie n’a pas à être utile
puisqu’elle est essentielle
@Chantal Mignot
Tailleurs de mots qui accompagnent le monde , changent la vibration intérieure , éveillent donnent à voir la vibrante réalité et la vie dans son diamant la poésie l’instant où l’univers parle merci pour vos poemes ils sont la chair de votre ame que vous partagez un essentiel continuez à taillez vos menhirs
@Jean-Louis Chartrain
Avec plein d’ami-es FB je compose assez régulièrement du haïku : cette pratique relaxe mais aussi -et surtout ?- le haïku est une résistance à la vacuité du bavardage de notre monde.
Le haïku est un instant de respiration.
En nous demandant de porter attention aux petits mondes naturels, biologiques et humains, le haïku nous permet de nous ré-ancrer dans le monde véritable et authentique (qui n’est pas et de loin celui que nous impose la société mercantile)…
@Stéphanie Merlin
Je me souviens d’un vendredi soir quelques jours après les attentats. J’étais toute seule dans l’épais silence de la maison. Encore sous sidération. Et je suis allée sur ton site Internet. J’ai lu tes mots. Tes mots qui ont fait écho. Qui m’ont apaisé.
La poésie propose de saisir la réalité dans sa complexité la plus grande, elle dit le mystère de nos vies. Elle questionne intensément, nous invite à regarder autrement. Elle nous interpelle, elle émerveille, elle nous éveille… à qui accepte d’écouter son murmure, son chant… Elle accroit notre humanité. Elle aide à vivre. Comme dit Jean-Pierre Siméon, la poésie « met les pieds dans le plat de l’existence ». Peut-être offrir à ton ami « La vitamine P – La poésie, pourquoi, pour qui, comment? » de J-P. Siméon. La poésie est essentielle à ma vie.
@Jean-Louis Chartrain « … L’imaginaire est aujourd’hui un territoire occupé et soumis. Et je dis que tout poème est un acte de résistance contre cette oppression…/…
La poésie…/… dénonce cette lecture passive du texte et du monde (du texte du monde)…
…/… Donc la poésie est la condition d’une cité libre. »
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Jean-Pierre SIMEON
in La poésie sauvera le monde
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Et la poésie ne nous empêche pas de participer aux mouvements sociaux qui, eux aussi, lisent et construisent le monde différemment de ce qu’en veulent les gans de pouvoir…