J’ouvre un metajournal. Pour raconter mon expérience dans le metavers naissant. Pour garder trace. Comme en 2011, au début de Twitter, et des formidables rencontres autour de la « twittérature« . Comme en 1996, où Alain, un ami canadien, m’a fait découvrir ce mot bizarre d’Internet et que j’avais interviewé dans mon fanzine « Opinion Publiques ». Un metajournal poétique, centré sur la poésie vivant là dedans, pour comprendre ce qui arrive et témoigner de la surprise qui, dans quelques années, nous semblera probablement à tous naïve et charmante. Qui nous emplira peut-être de nostalgie, une fois opérée la dématérialisation complète du monde.
Le 14 août 2021, j’ai acheté pour la dernière fois un exemplaire de Libération en papier, à l’occasion d’une « une » que je pressentais être historique, sous le regard incrédule de ma famille. C’était juste après que le patron de Facebook, Mark Zuckerberg, ait officialisé le lancement de son univers virtuel, le Metaverse, mettant 10% de son personnel sur le coup, et dévoilé le nouveau nom de baptême de son groupe Meta. Libé, à l’époque, parlait de Web 4.0. On est revenu depuis une unité et un espace en arrière. Web3. Déjà bien assez comme ça.
J’ai peur du metavers. Peur d’y perdre. Mon temps, ma concentration, ma vie. Et en même temps, comme chaque nouvelle innovation, j’ai envie d’y aller voir. C’est mon côté aventurier (de canapé). J’ai tenté de m’inscrire sur Decentraland, le monde virtuel où concerts et évènements sont proposés par de grandes marques. Nouveau supermarché expérientiel dans lequel seul compte l’instant, l’émotion vive et éphémère. La fabrique d’une vie de braises sur laquelle souffler constamment, au risque de l’extinction. Je n’ai pas réussi à y entrer : Une fois mon avatar crée et mes données personnelles enregistrées, ma machine a buguée. Pas assez puissante. La puissance de calcul est l’or du nouveau siècle. Je suis un pauvre hère avec mon vieux PC. Pas dans le game, désolé. Légère frustration. Légère, mais bien réelle.
Y a t-il une place pour mon art, la poésie, dans ce nouveau monde ? Pour me faire une idée, je suis parti explorer le monde des blockchains, des cryptomonnaies et des NFT, ces nouvelles technologies qui encadrent le commerce d’objets numériques (photos, avatars, œuvres d’art souvent génératif… ou poèmes…).
Mais qu’est-ce qui se vend ici, exactement ? Une œuvre numérique étant, par définition, indéfiniment copiable, au pixel près, quelle peut-être la valeur d’un poème sous sa forme numérique ? Une question jusqu’ici peu posée, en tous cas pas résolue, même dans la réalité. Avec l’expérience de Gustave Junior, subventionnée, nous réfléchissons tous ensemble à donner une valeur à un poème « réel » commandé aux auteurs pour chaque numéro et ce n’est déjà pas évident, nous nous sommes tous fixé sur une valeur de 50 €. 50 € pour un poème publié.
L’émergence de ces nouvelles technologies permet d’envisager, peut être pour la première fois, la commercialisation d’un seul poème à grande échelle. (Débat indécent ? La poésie doit rester libre ? Mais on ne se pose jamais la question sur les autres arts, un morceau de musique, un livre, un spectacle ayant « naturellement » un prix de vente, même si ses créateurs ont toujours la possibilité de l’offrir)
Dans le monde des NFT, ce n’est pas tant l’œuvre que son titre authentifié de propriété qui peut se vendre. Ce titre est matérialisé par la création d’un jeton, ou Token. Un « actif numérique » qui peut se comparer, pour le faire vite, à l’action d’une entreprise. Ces actifs, entièrement virtuels et immatériels, créés (on dit minés, ou forés) dès la première mise en vente de l’objet par leur créateur, sont un procédé réputé ineffaçable, non modifiable sans laisser de trace et infalsifiable (ou non fongible). D’où le terme de NFT (non fongible token) pour désigner des actifs qui ne sont que des titres de propriété d’une version de l’œuvre (à 1, 100 ou 10 000 exemplaires, comme l’on distingue dans le monde réel l’œuvre originale, le tirage en sérigraphie numéroté/signé ou l’impression en série).
Depuis le début de mon activité poétique en 2005, mes poèmes, avant d’être imprimés dans un recueil, d’être enregistrés ou d’être lus sur scène, sont créés sous forme d’un fichier numérique (article ou post). C’est bien la forme première du poème, sa première matérialisation, auquel j’aime périodiquement ajouter une version sonore. C’est cette version initiale, cette œuvre originale, que j’ai envie de proposer. Vers où tout cela va t-il m’emmener ?
(à suivre…)