Le quotidien « La Croix » consacre une belle critique au recueil « Où nos ombres s’épousent » dans son cahier Livres & Idées du jeudi 4 novembre 2010 :
Le « lyrisme des sources » de Stéphane Bataillon
Stéphane Bataillon publie un recueil magnifique et ambitieux où le deuil et l’amour cheminent au milieu des mots.
Où nos ombres s’épousent de Stéphane Bataillon
Éditions Bruno Doucey, 94 p., 10 €
S’il ne fallait lire qu’un recueil de poésie cet automne, ce pourrait bien être celui-ci… Certes, son auteur n’est ni un slameur branché, ni une grande figure de la poésie contemporaine, ni même un nouveau génie des mots. D’ailleurs, rien, chez Stéphane Bataillon, ne correspond à l’idée fantasque et un brin égocentrique qu’on peut se faire – parfois à juste titre – des poètes. Loin de tout tapage, ce jeune auteur de 35 ans, rédacteur en chef du site bayardKids (groupe Bayard), et collaborateur régulier du cahier « Livres et idées » de La Croix, signe avec ce petit livre très réussi son entrée en littérature dans la plus grande discrétion. Il faudra pourtant désormais compter avec cette voix singulière et ténue, qui n’est pas sans évoquer Guillevic, ou Claude Vigée. Même si le jeu des comparaisons est toujours risqué. Surtout en poésie.
À l’origine de cette œuvre, un deuil. Stéphane a perdu un être cher, à l’âge où l’idée de la mort semble habituellement lointaine, voire hors de propos. Épreuve relatée, dès les premiers vers, avec une sobriété bouleversante, une économie de mots qui semble être la marque de fabrique de ce jeune auteur : « Je n’ai pas la douleur / Je n’ai pas le besoin/et je n’ai pas l’exil // J’ai juste perdu/celle que j’aimais.» Dès lors, l’écriture s’impose à lui comme un chemin de guérison, la seule voie possible pour conjurer l’absence. Même dans les pires moments, le poète s’accroche à cet instinct de vie qu’il pressent en lui-même, sans parvenir à l’exprimer : « Bien sûr, l’asphyxie / Bien sûr, le pourquoi/crier sans voix au fond de l’ombre // Mais quelque chose/qui nous dit d’attendre // Que nous devrons nommer / Quelque chose de simple. » La simplicité : c’est sans doute la grande force de ce recueil qui se lit d’un seul trait, comme un journal intime, et qui fait mouche par l’universalité de son propos, son authenticité et sa modestie. Jamais le poète ne prend la pause, ne cherche à extorquer une larme facile.
En explorant ses profondeurs, attentif à la lumière qui, tôt ou tard, doit rejaillir, Stéphane Bataillon livre un témoignage exemplaire de combativité et d’optimisme : « Refuser en silence / tous ceux de votre camp / qui ne pensent qu’à venger // Raviver face à vous/les forges de l’enfance // Cette ancienne certitude/qu’il faut se relever. »
Au fil des pages, par la seule force de la poésie, la vie reprend peu à peu ses droits. On sent bientôt se dessiner « un jardin/où chaque pierre/aurait sa place// où le chaos/saurait se tenir », comme il le dit dans un stupéfiant raccourci.
Impeccablement servi par l’éditeur Bruno Doucey, naguère aux commandes des prestigieuses Éditions Seghers, le poète anime aussi un blog (1), sur lequel il vient de publier un manifeste pour un « lyrisme des sources », un lyrisme qui, dit-il, « ne refuserait aucune des expériences ni aucune des routes, sensibles ou spirituelles, mais qui privilégierait une certaine clarté. Pour former doucement une image nouvelle, lisible. Celle d’un monde qui se dirait tout bas, avec ces mots de tous les jours. »
L’intention résume assez bien la démarche de Stéphane Bataillon, qui n’a pas son pareil pour exprimer les joies simples et vraies de celui qui a su traverser son propre désert : « La plus belle conquête / est histoire d’instants // Un flagrant délit d’être. »
FRANÇOIS-XAVIER MAIGRE