(Contribution initialement parue dans La Croix du 10 juin 2021 dans le cadre de la série « Hymne à l’amour »
Elle est partie. Après une longue maladie. Nous avions 30 ans. Pour mon anniversaire, passé à son chevet, j’avais émis un simple souhait. Non exaucé. Après les « C’est injuste à cet âge », les « Nous serons toujours là », les « Il faudra du courage », je me retrouve seul. À sentir les habits pour retrouver son parfum. À forcer les souvenirs, jusqu’à la migraine, pour l’écho de son rire. À ne pas me résoudre à effacer son nom sur le message du répondeur. À garder mon alliance plus que de raison. Je lis qu’il faut « tourner la page ». J’entends « Il faut refaire ta vie et avoir un enfant ». J’ai peur. Que son parfum, que nos souvenirs, que son rire s’effacent. Et puis le temps finit de déborder. Je retrouve la joie d’être dans des bras. D’imaginer un futur, avec toi. D’avoir un enfant. De porter de nouveau cette alliance précieuse. En or blanc cette fois. On se permet d’en parler, de la raconter, elle. D’éviter, avec douceur, sans insistance, que la perte devienne un coin sombre de l’histoire de notre nouvelle famille. « Et si elle avait vécu, je ne serais pas là ? », demande notre fils. Non, tu ne serais probablement pas là. Mais tu es là. Avec nous. Mais son sourire, sa force lumineuse, elle aussi, est là. Qui nous accompagne, qui permet des poèmes, qui m’autorise à aimer. Qui nous autorise à s’aimer. Pleinement. À La Croix, nous n’écrivons jamais qu’une personne s’est « éteinte ». Je trouve cette convention très belle. Et puis je pleure, quinze ans après, en écrivant ces mots. L’amour, malgré l’absence, persiste. D’une lumière de plus pour éclairer ma vie. Et j’ai un peu moins peur.