Dans cette société d’abondance, il y a ce désir de se retirer. Du monde, de son rythme, peut être du propre rythme que l’on s’est imposé. Une frénésie de choses, de liens faibles, de réponses dues, pas toujours nécessaires mais partie intégrante d’une vie collective. Combler ce désir. Ce désir de vide, de silence, de temps que l’on imagine retrouvé. La logique est la même, accumuler une expérience supplémentaire, accumuler encore. Que va t-il se passer ?
Hier au téléphone, Frère Gilles m’a dit de bien me couvrir. Qu’il commençait à faire froid. Se couvrir du froid, des autres, de soi. Pour laisser émerger ce qui doit, peut être, émerger. Ou pas. Se préparer à cette retraite en soi, suivant la phrase de l’évangile de Matthieu : « Pour toi, quand tu pries, retire-toi dans ta chambre, ferme sur toi la porte, et prie ton Père qui est là, dans le secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra » Cette phrase est une de mes pierre d’angle intime. Elle contient la puissance poétique du feu. Comme le » Nous ne vieillirons pas ensemble // Voici le jour // En trop : le temps déborde » de Paul Eluard pour faire ressentir ce que la mort brutale de sa femme Nusch en 1947, fait imploser en lui. Il révèle une relation possible avec l’intouchable. Un intouchable qui, mystérieusement, implique tout notre corps.Implique et la vie, et la mort. Le plein et le vide. L’entrelacement conscient des deux à ne jamais omettre.
Sentir qu’il va falloir lâcher prise, ne pas rechercher d’objectif, de performance. L’article à rédiger, motif du départ, biaise forcément les choses. « Tu sais, les gens s’imaginent beaucoup de choses. Nous avons une vie finalement très simple, nous sommes très peu, juste 8 moines. Il est loin le temps où nous étions nombreux. C’est comme dans les autres abbayes. Ici, il y a des gens très différents qui viennent en retraite, certains croyants, d’autres non, mais qui tiennent quand même à suivre les prières. Beaucoup n’ont plus d’énergie, aspirés par les contraintes de leurs vies, de leur famille, de maladies. Ils viennent pour trouver un sas dans leur existence. Chacun fait ce qu’il veut. »
Faire ce que nous voulons. . La maxime de vie de Saint Augustin « Aime et fais ce que tu veux » résonne. Conserve son énergie malgré son grand usage. Encore plus dans sa version latine, plus tranchante : Dilige, et quod vis fac. Comme l’idée d’une rupture qui serait nécessaire pour vraiment se trouver. Ou trouver quelque chose encore indescriptible. Cette retraite pour moi, est d’ores et déjà lié à une forme de liberté et de gratitude. Pour mon journal qui me fait confiance sur cet exercice intime et périlleux, pour Gilles et ses frères qui vont m’accueillir, pour moi, quelque part, qui m’autorise enfin ce voyage, au-delà et au-dedans de ce que je connais du monde. Alors créer les conditions de disponibilités pour en profiter au maximum. Il n’y a pas d’accès Internet dans les cellules à Landévennec. Je décide de n’emporter que mon ordinateur pour écrire et d’essayer de me priver du réseau, sauf cas de force majeure, pendant ces sept jours. Je pressens que ce sera un premier arrachement arrachement. Même si ce mot, appliqué à un tas de composants électronique, peut paraître fort. Se couper des routines, des likes sur les réseaux, des messages sms, whatsapp, signal, et mails auquel on se sent coupable de ne pas toujours répondre. Je vais essayer de n’utiliser mon portable qu’une fois par jour, pour appeler ma femme et mon fils. Il faut que je pense aux livres que je vais apporter. Une bible, très certainement, pour moi, le non-baptisé en recherche d’absolu. Et pourquoi pas A la recherche du temps perdu, ce monument qui manque à ma culture et dont ma mère, proustienne intégrale, m’a offert tous les volumes en pléiade pour mon anniversaire il y a quelques années. Legs d’amour doublée d’une incitation forte. Et voila, je n’arrête pas de combler ! Je le sens, rien ne va être si facile. La liberté s’éprouve aux renoncements possibles.