Guillaume Métayer, Revue Tohu Bohu, Olivier Brossard, Félix Jousserand : les notules poésie de juillet

Notules poésie parues initialement dans le cahier Livres de La Croix du 7/07/2024)

Mains positives
de Guillaume Métayer
La Rumeur libre, 112 p., 17 €.

« Le plus difficile n’est pas de changer quelques lettres, le regard peut le faire, le plus difficile est de changer de regard. » Historien de la littérature, traducteur et poète, Guillaume Métayer propose avec Mains positives un ensemble de courts poèmes en prose, détaillant chaque mot de notre langue comme l’entomologiste ses insectes. Il les soupèse, tente de transcrire ce qui les relie à nous, ce qu’ils convoquent de sensations et de présence. En s’y engageant avec l’usage d’un « je » rendant encore plus sensible cette leçon de choses. Du « portable » il note ainsi : « Chaque jour mon mobile prend plus de place sur ma main. Il pèse lourd dans la paume, déborde de la toile, appelle glissade et bras ballant (…) En m’étirant vers lui chaque matin, j’approche la mesure du chagrin. »

 

Revue Tohu-Bohu
Collectif n° 1
Invenit, 80 p., 13 €.

Tohu-Bohu est une très séduisante nouvelle revue de poésie. Proposée par les éditions Invenit et la Maison de la poésie des Hauts-de-France. Jaillie « dans les clapotements furieux des marées », elle mêle, dans une maquette moderne, colorée et très accessible, dialogue entre poètes (Charles Pennequin et Coline Marescaux), présentation des créations autour d’une ville (Arras pour cette première livraison) et dossier autour de l’univers d’un auteur, Jacques Darras. Le tout complété par de nombreuses chroniques de recueils récemment parus et une belle moisson de poèmes autour du thème de ce numéro « Fatras ! ». La poétesse Angèle Lewis y fait une mise au point : « C’est très gentil/De vouloir mettre du piment dans ma vie/Je préfère le doux/Merci/Bisou. »

Let
d’Olivier Brossard
P.O.L., 96 p., 19 €.

Au tennis, une balle « let » est celle qui touche le filet avant de retomber sur le terrain adverse. Olivier Brossard, traducteur, professeur de littérature américaine à l’Université Gustave-Eiffel de Marne-la-Vallée, propose une forme originale d’écriture, volontairement en suspens, qui attend la relance : « J’ai seulement mon/cœur glissé dans une si belle lettre/que je te laisse bien pleurer depuis des siècles. » Une expérience de lecture à la fois ludique et exigeante, illustrée par des captures d’écran de Pong, le premier jeu vidéo de tennis, qui invite sur le terrain des bribes de mots de Roland Barthes, Emily Dickinson ou Simone Weil pour commencer l’échange, au service de ce jeu de langage : « Qui viendrait parler de se souvenir/Puisque c’est ici, non ailleurs ».

 

Canso, épopée chantée
Traduction et adaptation de l’occitan par Thomas Dupuy-Ostermann, Caroline Masini et Félix Jousserand
Livre-disque
Au diable vauvert, 144 p., 25 €.

La Chanson de la croisade contre les Albigeois, ou Canso en occitan est un poème manuscrit de 9 578 vers, composé au début du XIIe siècle par deux poètes, Guillaume de Tudèle et un anonyme. Joyau de l’art des troubadours, et véritable chronique des événements relatifs à l’invasion du comté de Toulouse par les croisés francs, il documente la guerre contre l’hérésie cathare et la mort de leur chef, Simon de Montfort. Plus que le document historique, cette traduction française très originale est accompagnée d’un livre-disque où le poète slameur Félix Jousserand lit sa traduction avec un grand souffle épique, sur une musique électro-jazz. Une étonnante rencontre entre les temps.

Stéphane Bataillon