Faire un pas. Un texte inédit, écrit et dit pour le Festival numérique Le Monde d’après, organisé par l’association Colère du présent d’Arras et diffusé le 1er & 2 mai 2020. Retrouvez plein de créations et de débats passionnants sur le site-lieu merveilleux festival : https://monde-dapres.com
Le dernier jour, juste avant, il y avait tout là. Tout, là, avant. Tout le monde. Il y avait toi, des autres que toi, des choses de tout là-bas, des molécules d’ici bas, des z’ions. Mais plus question. Aujourd’hui, tout est loin. C’est « Restez loin de la barrière », «Restez loin de la frontière ». « Restez loin de ma maison », ou délation. « Restez chez vous ». « Reste chez toi ! » Bon.
Restez chez soi. là. Plus courir après tout ça. Mais alors, après quoi ? Après l’assignation à résidence ? On disait ça, avant ça, lorsqu’on était poète. C’était un combat. Contre eux, Ceux-là. C’est la poésie qui pouvait refuser ça. Sans attestation. Avec une simple assignation. À résistance. Ou vice versa. Plume au vent, quoi. Mais vent mauvais, là, maintenant. Masques, maintenant. Masques pour repeindre la vie en… profitons-en y’a plus personne… rouge, vert, brun. Brun, c’est bien. Couleur forte. Ça tiendra, ça, au moins.
Mais j’vous vois venir, hein. C’est pas du tout ça. Pas question de Révolution, ni de semelles de plomb. Jamais de bruits de bottes. Allons, allons, nous sommes des gens civilisés. Mais non, je ne vous fais pas marcher ! Pour aller où ? On ne sait pas tout, vous savez. Ce sera peur, ce sera pour… après. Si tout va bien. Après. Au pas. Et puis…
Et puis non. Et puis, on se souvient. D’un truc comme l’An 01. Stop machines. Stop ‘tutures. Stop ‘navions. Stop récitations. Mises au pas. De côté. Comme ce matin, là, l’autre jour. Un premier pas, timide, sous le soleil. Puis un second. L’aventure qui commence, au coin de la rue. Oser parler au passant. Oser s’arrêter pour observer la plante, qui peut pas, elle, faire un pas. Vraiment pas. Et alors oser franchir le pas. Sauter au-dessus de la clôture, de la barrière, de la frontière. De tout ce qui nous sépare, sans bruit et sans visa, à petits pas quoi, de cette lumière là.
Et alors ? Après ça ? Alors, on fait encore un pas. Parce que votre après là, Connaîtra pas. N’en voudra pas. J’écoutera pas. C’est qu’en fait, j’l’attends même pas. Même si j’sais qu’ça s’fait pas.
Car chaque jour, chaque jour depuis ce jour et, depuis, tous les jours, je profite. Je profite juste, ici, là, de cette petite merveille, de pouvoir faire un pas. Vers toi.