Éloge d’une maternité vécue au travers du regard masculin dans Le cahier « Forum et débats » de La Croix du 26/12/2014 :
« Dire la maternité ? Imposant défi pour l’homme que je suis. Les paroles se fracassent contre cette évidence : je ne peux porter, en mon sein, l’enfant qui est pourtant « de moi ». Et pourtant, je suis là, j’observe, je parle, je touche, je me transforme au fil de ces neuf mois qui suspendent le cours. C’était il y a trois trois ans, et c’était avec elle.
Comme dans toute aventure, des angoisses, des doutes immenses. Son corps qui change et qui le manifeste. Des « ce sera formidable » des « on n’y arrivera pas » et les autres, aussi là, accompagnant souvent et nous forçant parfois à choisir notre camp. Car des batailles font rage dont on ignorait tout, et surtout la violence : Pour ou contre l’allaitement ? (le poids de l’avenir de l’humanité dans 210 ml de lait) Avec ou sans péridurale ? (heu, mais c’est quoi, exactement, une péridurale ? Ah oui, quand même…). Au-delà d’elle et de lui, au-delà de moi, la maternité est cette situation extrême qui nous confronte aux autres. Où tout peut arriver, où le temps se suspend mais qui, à l’inverse d’une guerre, d’un deuil, d’une maladie, porte sa joie en germe.
La maternité nous ramène à une place où tester ses limites. Où l’on commence déjà à décentrer son monde. Elle chamboule d’un coup cet édifice fragile qui m’aura fait croire homme, avec toute la puissance que ce rôle là exige dans notre société.
Alors juste tenter. Tenter de prendre soin d’elle, dans sa transformation, de prendre soin de lui, dans son surgissement. Mais toujours, en quelque sorte, impuissant. Toujours à l’extérieur de cette drôle d’expérience qui, comme à l’adolescence, sublime l’alliance du corps et de l’émotion, délivrant une force prompte à embrasser le monde. Peau contre peaux, ce chamboulement m’intime de réfléchir au parcours qui nous a conduit là, dans cette chambre de lumière. Elle est, en soi, pour moi aussi, une déflagration.
La maternité, c’est comme un conte de fées qui aurait échangé le « Il était une fois » par son « Je suis enceinte » pour amorcer l’histoire. C’est l’irruption du merveilleux dans notre quotidien. Et il faut toujours prendre soin du merveilleux. Savoir être à sa hauteur. Savoir changer son rythme, pour suivre son mouvement, accompagner les joies et les craintes qu’il fait naître, au plus profond de nous. Et s’accorder ensemble. Durant ces neuf mois, on demande souvent «Comment ça va ? » à la place de « Raconte-moi, formule-moi cette magie. Résume-moi d’un regard les dix mille paroles qui veulent dire la vie. »
Yves Bonnefoy écrit, dans l’Inachevable (2), « Il y a des choses, des aspects de l’existence, qui sont d’importance si essentielle, pour toute vie, qu’il faut apprendre à les reconnaître là où en nous ils agissent, en deçà de la conceptualisation ; et qu’il faut savoir, eux en particulier, les protéger de cette dernière. ». Alors pas de discours, juste des impressions. L’impression de retraverser le monde, depuis son origine, en ouvrant le chemin dont cet autre à venir indiquera le sens. L’impression d’être heureux; en imposant les mains pour me joindre à leurs souffles. Quand nos cœurs battent ensemble pour affronter la vie, la submerger d’amour en restant vigilant sur les ombres qui rôdent. »
(1)Dernier recueil paru : Les Terres rares, Éd. Bruno Doucey, 96p., 13 €, récit d’une maternité vécue côté père. (2) Yves Bonnefoy, L’Inachevable . Entretiens sur la poésie, Albin Michel, 544 p.,26 €.