Les éditions de la Lune Bleue, menées avec passion par Lydia Padellec publient ces jours-ci une anthologie originale de haïkus francophones écrits par dix poètes nés depuis 1970. J’ai le bonheur d’en faire partie et d’y éditer, pour la première fois, mes tentatives autour de cette forme brève que j’affectionne particulièrement. Outre mes textes, vous pourrez y découvrir ceux de Vincent Hoarau, Cécile Duteil, Soizic Michelot, Loïc Eréac, Gwenaëlle Laot, Jean-Baptiste Pedini, Lydia Padellec, Rahmatou Sangotte et Meriem Fresson.
Extrait de la préface : « D’une fleur à l’autre », d’une génération à une autre, le haïku voyage avec la légèreté d’un papillon. Poème du quotidien, originaire du Japon, le haïku apparaît en France à la fin du XIXème siècle et la première publication française Au fil de l’eau date de 1905 : les trois auteurs, Paul-Louis Couchoud, Albert Poncin et André Faure n’ont pas trente ans quand ils entreprennent leur voyage en péniche pendant l’été 1903. Aujourd’hui, quel regard portent les jeunes auteurs sur cette forme poétique si particulière ?
Nés entre 1972 et 1984, les dix haïjins de cette anthologie vivent en France et ne sont jamais allés au Japon. Ils ont pourtant fait leur cette poésie venue d’ailleurs, se réappropriant ses règles voire en les dépassant pour atteindre une vision plus personnelle du haïku et du monde.
D’une fleur à l’autre, collectif de dix haïjins nés à partir de 1970, sous la direction de Lydia Padellec, gravures sur bois de Mimin Chen, Editions de la Lune bleue. 46 p, 12 euros.
Entretien : L’instant haïku
En complément de cette parution, quelques questions posées par Lydia autour du rapport à cette forme brève. Destiné à nourrir la préface, le voici reproduit intégralement.
Lydia Padellec : Comment as-tu découvert le haïku ? Quel est l’auteur, le haïku ou le livre qui t’a donné envie d’en écrire à ton tour ?
Stéphane Bataillon : J’ai découvert le haïku comme l’on découvre un jeu, au détour des pages d’un livre très bien fait, le « petit manuel pour écrire des haïkus » de Philippe Costa (ed. Philippe Picquier, 2001). Je me suis pris de passion pour cette forme brève, qui correspondait à une aspiration d’épure profonde. Qui permettait de mêler, condensé comme un galet à la surface polie, le regard posé sur le monde d’un Bashô à l’espièglerie d’un Issa.
L.P : Depuis quand en écris-tu ? Ecrivais-tu de la poésie ou d’autres genres avant ?
S.B : J’écris de la poésie depuis 2001 et le haïku a donc été, sans même le savoir, la forme qui m’a permis d »emprunter ce long chemin. Ma poésie s’en ressent encore aujourd’hui, même si je me suis éloigné de certaines règles (bien utiles et rassurantes) pour tenter l’aventure d’un langage encore plus personnel, dans le sillage des pops de Jack Kerouac ou des quanta de Guillevic.
L.P : Peux-tu donner une « définition » de ce qu’est le haïku pour toi ?
S.B : Je partirais de cette phrase de Gaston Bachelard : « La poésie est une métaphysique instantanée ». Le haïku incarne bien cette définition, avec un agencement de mots qui nous entraîne vers une métaphysique à partir du brin d’herbe. Non pas simple constat du monde, mais témoignage de cette relation infime et intime qui nous relie à lui, en évitant bien des digressions et des mots inutiles.
L.P : Quelle place donnes-tu aux règles du haïku ? Respectes-tu le 5/7/5 ? le kigo ? le kireji ? Qu’est-ce qui te semble le plus important dans le haïku ?
S.B : J’ai adoré les découvrir, jouer avec, lire « Le haïkaî selon Bashô » traduit par René Sieffert (retranscription des propos du maître par ses disciples, le meilleur et le plus passionnant des cours de haïku possible) et tenter de comprendre l’importance de chacune. Je ne crois pas que cette approche asiatique des choses et du monde soit, comme l’on dit parfois, inaccessible aux occidentaux. Elle est juste différente. Mais il faut plonger assez profond dans la sensation que procure l’application de chacune de ces règles pour s’apercevoir de leur véritable intérêt… et du manque en cas d’absence. Donc beaucoup pratiquer.
L.P : Sur quels thèmes aimes-tu écrire ?
S.B : Sur les miracles minuscules. Écrire, retranscrire ces manifestations, ou les imaginer (« mais que pense ce bloc de pierre, en ce moment précis ? Quelles questions se pose-t-il, lui ? Qu’est-ce qui, dans ce que je vois, me permet de le penser ? ») m’oblige à être attentif à cet essentiel.
L.P : Que penses-tu de la « poésie engagée » ? Crois-tu que le haïku y a sa place ? Doit-il dénoncer, accuser, défendre ou rester neutre ?
S.B : C’est une vraie question pour moi. Surtout en temps de crise. Mais je crois qu’il vaut mieux, hors circonstances vitales, sortir la poésie de toutes contraintes conjoncturelles, elle ne porte que plus fort et plus loin. Si l’on parle d’engagement porte-voix, lié au collectif, le haïku me semble être la dernière forme à pouvoir jouer ce rôle. En revanche, si l’on parle d’engagement intime au monde, il est l’une des formes la plus puissante, effaçant le « je » au bénéfice de la célébration des tressaillements qui nous bouleversent dans ce qui nous est offert.
L.P : Participes-tu à des forums, listes internet, kukaï (en ligne ou non)… ? Que penses-tu de ces pratiques ?
S.B : Non, je ne participe pas à ce type d’initiative. Mais je trouve ça très bien, que les poèmes s’échangent, résonnent, que les gens usent les mots. À la seule condition que le poème garde sa raison d’être, ne devienne pas prétexte. Qu’il soit considéré.
L.P : Animes-tu des ateliers haïku ? Si oui, auprès de quel public ? Si non, aimerais-tu en faire ?
S.B : Non, je n’anime pas d’ateliers haïku mais je trouve que, par ces contraintes fortes et les sujets communs qu’il permet d’aborder, le haïku est idéal pour permettre une approche de la poésie. Il y a quelques années, j’avais inventé un jeu de société sur cette base. L’occasion de beaux éclats de rires et de vie entre amis. C’est la force du haïku : fort et léger, court et dense, il s’efface pour laisser place à nos propres réactions, celles qui permettent de se reconnaître, qui nous relient ensemble.