(Critique précédemment parue dans le cahier Livres&idées de La Croix du 9/06/2022)
Les Chevaliers de la Table ronde, Romans arthuriens
Édition présentée et annotée par Martin Aurell et Michel Pastoureau
Gallimard, coll. « Quarto », 1 080 p., 34 €
Trouver l’épée Excalibur, se perdre dans la forêt de Brocéliande, céder face aux charmes de Morgane… Les textes sont connus, mais on ne s’en lasse pas. La légende arthurienne, popularisée et christianisée au XIIe siècle par Chrétien de Troyes à partir de la riche culture païenne des conteurs et bardes bretons, ne cesse d’irriguer, depuis bientôt dix siècles, la culture populaire. En atteste le succès de la série parodique Kaamelott d’Alexandre Astier ou le projet du réalisateur star américain Zack Snyder, qui, après Batman et Superman, désire s’attaquer à une revisitation fidèle de ces légendes.
Ce nouveau volume de la collection « Quarto » permet de revenir à l’origine de ce royaume de l’imaginaire, guidé par les grands spécialistes que sont Martin Aurell, directeur du Centre d’études supérieures de civilisation médiévale de Poitiers, et Michel Pastoureau, qui sait si bien mettre ses compétences de grand médiéviste à portée du grand public pour révéler les secrets des couleurs et de la symbolique. Il rassemble sept textes majeurs du grand cycle arthurien, par ordre chronologique et dans des traductions récentes, issues notamment de l’édition de la Pléiade ou des éditions des Belles Lettres.
Parmi eux, Kulhwch et Olwen, le premier conte disponible donnant dès 1100 et en moyen gallois un rôle majeur à Arthur, ou L’Histoire des rois de Bretagne, « best-seller » de l’historiographie médiévale. Les fameux romans de Chrétien de Troyes ayant assis la légende, Yvain ou le Chevalier au lion et Perceval ou le Conte du Saint-Graal, sont bien sûr présents, tout comme La Mort du roi Arthur. L’ultime étape de ce long cycle en prose, aboutissement littéraire de continuateurs anonymes qui comblent, dans les premières décennies du XIIIe siècle, les zones blanches des premiers récits en précisant les généalogies, renforçant la présence du personnage de Merlin l’Enchanteur et ajoutant des éléments d’une autre légende, celle de Tristan et Yseult.
À côté des romans, toujours plaisants à lire, l’intérêt de l’ouvrage est aussi de proposer cartes, chronologies, dictionnaire des personnages et introductions concises pour mieux saisir cette formidable construction littéraire. Car ces récits n’ont pas pour seul objet le divertissement. Spirituels, ils affirment les valeurs chrétiennes et chevaleresques de l’amour courtois dans une période de forts troubles où la bestialité semble avoir pris le pas sur la vertu. Politiques, ils participent à renforcer le sentiment d’unité des populations autochtones de la Grande-Bretagne, Celtes envahis dès le Ve siècle par les peuples germaniques, en leur offrant une mythologie commune remontant aux antiques Troyens. Un essai de Martin Aurell retrace d’ailleurs bien la construction politique de la figure du roi Arthur dans cette visée, de sa naissance à sa récupération par les Plantagenêts puis, in fine, par Édouard Ier et la cour d’Angleterre contre l’Écosse au XIVe siècle.
Un très beau choix de 158 documents iconographiques, allant des miniatures et manuscrits originaux conservés à la BnF aux illustrations des grands dessinateurs anglais du XIXe siècle comme Aubrey Beardsley, Edward Burne-Jones ou William Morris, l’un des pères du genre de la fantasy, achève de nous convaincre de l’attrait opéré par cette geste patiente. Une invitation à la Table ronde ne se refuse pas.
Stéphane Bataillon