Critique BD parue dans La Croix du jeudi 13 juin 2019
François Schuiten transporte le duo anglais dans les bas-fonds d’un Bruxelles rétro-futuriste. Un album bouleversant en forme d’adieu à la bande dessinée.
Bien des années après la fin du célèbre Mystère de la grande pyramide, le professeur Mortimer, désormais à la retraite, est appelé à Bruxelles pour étudier un puissant rayonnement électromagnétique au cœur du palais de justice. Aidé d’un colonel Blake perdu de vue depuis trop longtemps, il se lance dans un ultime défi pour tenter, une fois de plus, de sauver le monde.
Le temps d’une aventure « hors-série » qui pourrait être, chronologiquement, la dernière de nos héros, François Schuiten s’empare du mythe créé par Edgar P. Jacobs. Le dessinateur des Cités obscures, série majeure de bande dessinée réalisée depuis plus de trente-cinq ans avec son ami scénariste Benoît Peeters, rend un hommage touchant à la source de sa passion pour le neuvième art.
La ville-personnage, véritable héroïne de l’album
Reprenant les dialogues des dernières planches du Mystère pour lancer l’histoire et truffant ses pages de références au Piège Diabolique, autre épisode mythique de la saga, Schuiten renoue avec un réalisme magique cher à Jacobs. Il entraîne Mortimer dans un monde aux communications interrompues, où seule s’agite une confrérie secrète, gardienne de l’énergie primordiale et d’une grande pyramide inversée. Des éléments teintés d’ésotérisme, qui introduisent comme en miroir les thèmes très actuels d’une société dirigée par les données immatérielles.
Mieux qu’une reprise, Schuiten propose ici une véritable œuvre d’auteur, n’hésitant pas à faire intervenir des éléments de ses précédentes histoires, comme la locomotive La Douce, et à situer l’action dans une Bruxelles rétro-futuriste, rappelant son album Brüsel. Sa mise en scène magistrale fait de cette ville-personnage la véritable héroïne de l’album, témoin de son amour fou pour l’architecture.
Pierre philosophale
Touchant, l’album l’est aussi parce qu’il marque les adieux de l’auteur à la bande dessinée. Schuiten, désormais, se consacrera à d’autres projets. Avec cet album testament, il produit une sorte de pierre philosophale de la bande dessinée franco-belge, mêlant le meilleur de l’école classique d’Hergé et de Jacobs et celui de la bande dessinée adulte des années 1970-80 dont il fut l’un des représentants avec d’autres comme Mœbius.
Le héros de ce dernier, John Difool, apparaît d’ailleurs en clin d’œil, sous les traits d’un maître des rêves. Ayant accompli son grand œuvre, l’alchimiste des bulles peut désormais s’éloigner de ses planches.
Stéphane Bataillon
Le Dernier Pharaon. Une aventure de Blake et Mortimer d’après les personnages d’E. P. Jacobs, de François Schuiten, Jaco Van Dormael, Thomas Gunzig et Laurent Durieux, Dargaud, 92 p., 17,95 €