Article paru dans le cahier Livres&idées de La Croix du 5 novembre 2020.
C’est l’histoire d’un rendez-vous manqué. Alors qu’il s’était fait accepter par l’entourage de François Hollande pour retracer dès 2012 la geste du candidat puis président dans deux albums remarqués, Campagne présidentielle et Le Château (Dargaud), Mathieu Sapin, qui aime endosser le rôle du reporter-dessinateur, rate sa rencontre avec Emmanuel Macron. Le monde, dit-on, n’est plus le même, et le temps est au verrouillage dans la communication.
À part quelques répliques glanées dans des voyages de presse, rien de vraiment inédit prompt à éclairer le caractère ou l’exercice du pouvoir du nouveau président. Et de fait, François Hollande est presque plus présent dans cet album que son successeur, l’auteur continuant ici à le côtoyer et à noter ses traits d’esprit. L’exercice de chroniqueur du palais atteint ses limites lorsque ses portes restent fermées.
L’occasion pour Mathieu Sapin de s’essayer à d’autres choses : réaliser un film, Le Poulain, satire politique dont il raconte ici les coulisses, ou s’interroger sur ces années au cœur du pouvoir. Il convoque à cette fin Jean Racine. En parallèle des séquences contemporaines, il dresse une biographie jubilatoire du grand dramaturge. Sa formation janséniste, les premiers succès de ses pièces, ses luttes d’influence et ses trahisons successives pour se rapprocher coûte que coûte du roi Louis XIV, jusqu’à devenir son historiographe, au cœur de Versailles.
Avec beaucoup d’autodérision, Mathieu Sapin dresse le parallèle entre ses propres doutes et la détermination sans faille de l’auteur de Phèdre : deux époques, mais finalement une même séduction face aux puissants et le même péril : à trop servir le politique, le feu de la création artistique ne risque-t-il pas de brûler son détenteur ?
Reste une drôle d’impression en refermant cet album, où la crise sanitaire n’est présente qu’aux toutes dernières pages, avec un garçon de café masqué désinfectant une table. Celle d’assister au spectacle d’une ère déjà révolue, où les jeux de rôles prêtaient encore, parfois, à rire. Mais cela n’est peut-être, là encore, qu’une illusion tragicomique. Comme l’écrivait Jean de La Bruyère, cité en épilogue : « Dans cent ans, le monde subsistera encore en son entier : ce sera le même théâtre et les mêmes décorations, ce ne seront plus les mêmes acteurs. »
Comédie française, voyages dans l’antichambre du pouvoir de Mathieu Sapin, Dargaud, 168 p., 22,50 €