Critique : Bashô, la traversée du haïku

( Critique initialement parue dans le cahier Livres & idées de La Croix du 12/01/2023)

Notes d’un voyage à Sarashina
et Le Carnet de la hotte

de Bashô
Traduits du japonais et commentés par Alain Walter
William Blake & Co, 124 p. et 248 p., 19 et 24 €

Le japonologue Alain Welter poursuit l’édition savante et passionnée des journaux de voyage de Bashô, le maître du haïku, poésie brève de l’émerveillement.

Observer la nature, la nommer au plus simple et faire naître une émotion dans l’exact interstice de l’élément décrit et de notre perception. Tel est peut-être le but du haïku, forme brève de la poésie japonaise, exercice d’intense contemplation ramassé en trois vers. Aujourd’hui répandu dans le monde entier, le haïku doit son destin à un samouraï sans maître du XVIIe siècle devenu ermite, Matsuo Bashô, qui en fit, grâce à son talent, l’expression étincelante de l’âme de son pays.

À partir de 1684, Bashô part sur les chemins pour transmettre l’enseignement de l’école de poésie qu’il a fondée avec succès, le shômon, et ressourcer son inspiration. Il note ses impressions de voyages dans sept journaux, témoignages uniques d’une poésie appliquée au réel. Le Carnet de la hotte rédigé en 1687 est le troisième de ces récits. Bashô y développe comme jamais auparavant sa vision du haïku.
Pour lui, cette forme doit servir à formuler l’adhésion au zôka, principe créateur du monde allié à un temps manifesté par les changements de la nature entre hiver et printemps. Un chemin éminemment spirituel où « L’art (…) se fait compagnon des quatre saisons. » Il y relate ainsi l’état du pèlerin après une longue journée de marche, récompensé de ses efforts par la vue de ce déploiement à l’œuvre : « Épuisé,/Au moment de louer à l’auberge, ah !/La glycine en fleurs… »

Un périple quasi initiatique
Dans Notes d’un voyage à Sarashina, suite directe du voyage précédent, Bashô dévoile encore plus intimement son processus créatif, au cours d’un périple quasi initiatique en montagne. Il narre avec humour cette nuit dans un gîte délabré où « gémissant dans mon effort de composition » pour transformer les choses vues durant le jour un haïku, un moine zen, pensant qu’il souffre, cherche à le réconforter.

Le texte de ces journaux a déjà été traduit en français, notamment par René Sieffert en 1988 chez Verdier avec un appareil critique limité. Mais l’édition savante entreprise par Alain Walter, dont voici les quatrième et cinquième volumes, offre une plongée inédite dans la subtilité de cet art, en compagnie d’un guide sûr.

Les riches mais très accessibles introductions et les notes abondantes précisent chaque référence, développent chaque usage (comme celui d’envelopper de l’argent offert dans un papier épais, par souci de discrétion), replace l’apport de chaque artiste cité pour se transformer en une passionnante encyclopédie vagabonde du Japon classique, d’un haïku à l’autre.

Stéphane Bataillon