Un biopic retrace avec émotion les premières années de l’auteur culte du « Seigneur des anneaux », J.R.R Tolkien.
La fin de la série Game of Thrones laisse le champ libre à de nouveaux royaumes imaginaires, prêts à prendre possession du champ de la culture mondialisée. Une nouvelle bataille que les fidèles des rois fondateurs de la « fantasy », genre littéraire dédié au merveilleux, comptent bien également livrer.
Dix-huit ans après le premier volet de l’adaptation cinématographique du Seigneurs des anneaux par Peter Jackson, une nouvelle génération s’apprête à entrer dans le monde fascinant de son auteur, l’écrivain britannique John Ronald Reuel Tolkien : une exposition monumentale, prévue à la Bibliothèque nationale de France en octobre prochain, suivi d’une nouvelle série Amazon au budget faramineux de plus d’un milliard de dollars consacrée aux prémices de la Terre du Milieu, lieu de la trilogie originale.
Le film Tolkien annonce cette nouvelle vague et commence par le début : l’enfance et les années de formation de l’auteur. On y découvre un petit garçon ballotté d’Afrique du Sud en Angleterre, à la suite de la mort de son père et qui devient orphelin à 12 ans, voyant s’éteindre une mère malade dont la fantaisie et l’imaginaire débordant ont pu lui être transmis.
Le jeune Tolkien, envoyé à la King Edward’s School de Birmingham, se trouve une famille de substitution en fondant, avec trois amis, une société secrète, le Tea Club and Barrovian Society (TCBS). Les quatre jeunes rêvent de musique, d’art et de poésie et veulent changer le monde. Leur amitié, rendue ici de belle manière, résistera aux aléas de la vie.
Parti étudier à Oxford, où sa passion des langues lui assurera une brillante carrière d’étudiant puis d’enseignant, Tolkien verra leurs idéaux se fracasser contre l’horreur de la Première Guerre mondiale : joué par le convainquant Nicholas Hoult, l’auteur participe à la bataille de la Somme, en réchappe de justesse mais perd en route l’un de ses amis poètes. Le film alterne astucieusement ces scènes de guerre avec le récit d’une vie universitaire plutôt joyeuse, et transforme, grâce aux effets spéciaux, les armées dévastées en un effrayant Golem, plongé dans un univers sombre et fantastique annonçant celui que l’on retrouvera dans ses œuvres.
À l’instar d’autres biopics (films biographiques) tels que le Bohemian Rapsody narrant l’ascension du groupe Queen sorti l’année dernière, Tolkien prend quelques libertés avec la chronologie afin de rendre l’histoire plus belle. Ainsi, la promesse de mariage avec le grand amour et muse de sa vie, Edith, elle aussi orpheline et connue à 16 ans, interprétée par l’envoûtante Lily Collins, n’a pas eu lieu sur le quai d’un port, au moment de la mobilisation, mais quelques années plus tôt. Qu’importe.
Par contre, si le film montre bien l’influence des langues et des mythes du Nord sur le jeune écrivain (Tolkien inventera, en bon philologue, une langue originale dans son œuvre, et nourrira celle-ci d’éléments tirés du Kalevala, grande épopée finlandaise) il fait totalement l’impasse sur l’importance de la foi catholique de l’auteur. Foi déterminante, au centre de sa vie quotidienne, très marquée par la théologie de John Henry Newman. Il désirait même, avec le Seigneur des anneaux, « évangéliser l’imaginaire ».
Ici, on en reste avec la figure à la fois protectrice et un peu castratrice du père Francis Morgan (Colm Meaney), ayant pris sous son aile Tolkien et son jeune frère. Mais rien n’empêchera l’auteur de vivre ses rêves et de forger sa propre mythologie. Le film se clôt par une phrase inscrite à la plume : « Au fond d’un trou vivait un hobbit », soit l’amorce de Bilbo le Hobbit, son premier chef-d’œuvre. Naissance d’un univers que le spectateur, s’il n’est déjà séduit, aura tout le loisir d’explorer. Les occasions ne manqueront pas.
Stéphane Bataillon
Tolkien, de Dome Karukoski, Film américain – 1 h 52