< Article initialement paru dans La Croix du 21 août 2020. >
Ce récit de la carrière du photoreporter américain Stanley Greene (1949-2017), mêlant dessins et reproductions de ses clichés, est une introduction savoureuse à cet art du réel.
Il a tout couvert, ou presque : du mouvement punk à la chute du mur de Berlin, de la guerre en Tchétchénie à l’ouragan Katrina de 2005. Stanley Greene a été l’un des photoreporters les plus marquants de la fin du XXe siècle. Travaillant pour les plus grands journaux, Time, Paris Match ou Le Nouvel observateur, ce New-Yorkais installé à Paris en 1986 a gagné cinq prestigieux prix World Press Photo durant sa carrière.
Stanley Greene avait décidé de devenir photographe après sa rencontre avec W. Eugene Smith, légende du photojournalisme. Cet album raconte le déploiement de sa vocation à partir de ce moment charnière. Il reprend un principe déjà expérimenté par Emmanuel Guibert, grand prix du Festival d’Angoulême 2020, et son ami photoreporter Didier Lefèvre dans Le Photographe (Dupuis) : raconter par le dessin les conditions de son travail lors des multiples reportages et insérer des clichés produits à cette occasion au sein même des planches.
Ce procédé narratif donne l’impression d’être en compagnie du photographe au moment de l’événement, de le voir à l’affût des images, d’entendre le déclic de l’appareil. L’œil, s’attardant alors sur le cliché publié, prête davantage attention à chaque détail, chaque expression des personnages, chaque couleur de vêtement.
Si ce récit a été scénarisé par un habitué du 9e art, Jean-David Morvan, aussi à l’aise dans les séries de fiction (Sillage, Spirou et Fantasio) que dans les adaptations littéraires (collection « ex-libris » de Delcourt), le dessin est dû à Tristan Fillaire, jeune auteur de 25 ans dont c’est le premier album. On salue le trait expressif, oscillant entre la ligne claire d’Hergé et de Ceppi et les auteurs indépendants américains actuels comme Adrian Tomine. Les couleurs, à la fois sobres et lumineuses, apportent un charme indéniable à l’album et permettent de rehausser les clichés de Greene, publiés en grande majorité en noir et blanc.
L’album, réalisé en collaboration avec l’agence Noor dont Greene, mort en 2017, était l’un des fondateurs, est complété par un dossier de 30 pages proposant 23 clichés dont il nous raconte la petite histoire, passant d’une scène d’exil à une photo de mode. La découverte pourra se poursuivre au fil d’une exposition des clichés au Centre du patrimoine arménien de Valence jusqu’au 30 décembre prochain (1). Un concentré d’émotions pour aiguiser notre regard.
Stéphane Bataillon
(1) www.le-cpa.com
Stanley Greene, une vie à vif de J.-D. Morvan (scénario) et Tristan Fillaire (dessin), avec les photographies de Stanley Greene, Delcourt, 128 p, 18,95 €