L’œuvre de la grande poétesse américaine, proche de Sylvia Plath, est enfin traduite en français. L’introspection bouleversante d’une femme cherchant à s’écrire.
Article initialement paru dans le cahier Livres & idées de La Croix du 20/01/2022
Tu vis ou tu meurs. Œuvres poétiques (1960-1969)
d’Anne Sexton
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Sabine Huynh, présentation de Patricia Godi
Des femmes Antoinette Fouque, 320 p., 24 €
De manière inexplicable, certaines voix mettent du temps à nous parvenir. Il aura fallu plus d’un demi-siècle pour découvrir les recueils d’Anne Sexton, prix Pulitzer en 1967 pour Tu vis ou tu meurs, l’un des quatre recueils rassemblés dans cet ensemble. Le mérite en revient à sa traductrice, Sabine Huynh, investie depuis des années pour nous la donner à lire. Poétesse majeure de la littérature américaine, Sexton, à l’instar de son amie Sylvia Plath, a ouvert la voie à l’expression de l’intimité et de l’expérience spécifiquement féminine dans une Amérique encore très corsetée.
Née en 1928, issue d’une famille aisée de la banlieue de Boston, mariée à 19 ans et mère de deux filles, elle aurait pu vivre une existence confortable. Mais, en 1954, une première dépression nerveuse la brise et l’envoi à l’hôpital psychiatrique. Loin de ne le vivre que comme un enfermement, elle y découvre sa vocation avec l’aide d’un psychiatre attentif qui la pousse à écrire. En découle un premier recueil ici proposé, Retour partiel de l’asile. Elle devient vite l’une des plus singulières représentantes du courant de la poésie dite « confessionnelle », qui consiste à raconter sa vie entière, au risque de tout confondre. Mais elle veille. « La différence entre la confession et la poésie ? C’est, après tout, l’art », dit-elle
Loin de tout discours militant, son féminisme et l’affirmation de sa liberté passent par une langue perçante et tendre à la fois, glorifiant la gratitude. Une arme d’empathie pour aborder de front les plaisirs assumés du corps, la reconstruction positive des relations mère-filles ou l’expérience douloureuse de l’avortement dans un texte poignant scandé par un vers terrible : « Quelqu’un qui aurait dû naître n’est plus. » Chez elle, la sorcière figure déjà la femme puissante. Celle qui, par ses paroles, vengera toutes ses sœurs, épouse enfermée, amoureuse trahie ou femme au foyer délaissée.
Mais le poème, malgré son pouvoir, ne peut cicatriser toutes les déchirures. Anne Sexton décidera de mettre fin à ses jours à 45 ans. Reste sa voix éblouissante, désormais à portée, et ce désir d’une foi tissée dans les regards. À son amie Ruth, qui la presse d’aller se confesser, elle répond : « Toute la matinée/j’ai porté/ta croix, pendue autour de mon cou avec de la ficelle pour paquet./Elle battait doucement sur ma poitrine comme un cœur d’enfant, des battements par procuration, attendant gentiment de naître. »