UPPLR #258 : Petite saison où descendent les dieux, par Li Shaojun

Trois ou cinq petites cabanes
Quelques étincelles de feux des lanternes
Je suis aussi petite qu’une fourmi
Échoué ce soir au milieu de la grande steppe de Hulunbuir*
À une petite station anonyme
Seul à affronter le froid et la solitude mais je suis en paix

Derrière, se tient la dure nuit d’hiver, debout, aussi féroce qu’un tigre
Et derrière, il y a une route nette et vide, de travers
Et derrière, la rivière Ernagou qui coule lentement
Dans le noir, elle brille telle une lumière blanche
Et derrière, c’est la forêt de bouleaux, sans fin et sombre
Et derrière, un champ sauvage, sec et clair
Et derrière, les étoiles scintillantes dans un ciel bas
Et le rideau doux et bleu de la nuit
Et derrière, le vaste Septentrion, où habitent les dieux.

Li Shaojun
(Traduit du chinois par Dong Qiang)
Sous le ciel étoilé de la poésie, anthologie bilingue sous la direction de Gao Feng et Zhang Ruling, Gallimard, 396 p., 20 €

*Vaste région de prairies située en Mongolie Intérieure.

Li Shaojun, né en 1967 à Xiangxiang dans la province chinoise du Hunan, rédacteur en chef de la revue chinoise Poésie, est considéré comme l’un des poètes de la nature les plus représentatifs de sa génération. En quelques mots, il saisit ce paysage sauvage et nu qui relie l’homme « aussi petit qu’une fourmi » et la vaste demeure des dieux. Il fait partie des 60 poètes chinois et français rassemblés dans une très belle anthologie bilingue, initiée par l’Académie chinoise de poésie Hanlin à l’occasion de la célébration du 60e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la France et la Chine (1964-2024). Le livre est présenté recto verso, avec un design bicolore très soigné. On y retrouve, côté bleu, des poètes français, de Ronsard à Serge Pey, en passant par Aragon, Char ou Jaccottet. Le côté rouge présente de la même manière des poètes chinois classiques (Wang Wei, Du Mu…) puis contemporains. Une anthologie idéale pour voyager au lointain et approcher en quelques vers, cette culture subtile. Un lien incarné par un poète comme François Cheng, présent dans l’ouvrage, et auquel Amin Maalouf rend hommage dans sa préface, louant le travail de traduction permettant « par-delà la rencontre de formes poétiques qui nous sont peu familières, de nous reconnaître et de trouver des repères dans un monde pourtant autre. » Une ouverture, source d’émerveillement, bien nécessaire en ces temps de repli des peuples sur eux-mêmes.

Stéphane Bataillon
(Initialement paru dans La Croix l’hebdo n°258)