Un poème pour la route #231 : Haïkus de Hôsai

uso wo tsuita yôna hiru no tsuki ga aru

Là, la lune
à midi
comme un mensonge

 

tsukemonodaru ni shio fure to haha wa undaka

« Va saler le tonneau de marinades »
ma mère m’a-t-elle mis au monde
rien que pour ça ?

 

iroenpitsu no aoi iro wo hissori kezutte iru

En silence
je taille la couleur bleue
d’un crayon de couleur

 

ohenro mukuge no hana wo homeru eda tsuku

Un pèlerin contemple
la fleur d’hibiscus
appuyé sur son bâton

Hôsai

Pèlerin des nuages et des eaux, Édition bilingue, traduit du japonais par Rikako Fujii et Dominique Chipot
La Table ronde, 288 p., 30 €.

Jusqu’à l’arrivée du poète Shiki (1812-1889), les règles du haïku, poème bref japonais traditionnel souvent en lien avec les éléments naturels, étaient particulièrement strictes : un mot obligatoire en référence à la saison où il s’écrit (kigo) et une forme immuable en trois vers et 5,7 et 5 syllabes… Mais Shiki propose de libérer cet art de son carcan : des références à la vie moderne, plus forcément de mot-saison, et ô sacrilège, la possibilité de libérer le vers sans la contrainte des 17 syllabes. Le cercle des poètes, les haïjins, souvent moines bouddhistes, se déchirent en deux : les conservateurs contre les réformistes. Une bataille d’Hernani au pays du Soleil levant. Dans la ligne de Shiki, Ozaki Hôsai (1882-1940), moine errant laïc, descendant d’une famille de samouraï, prend le parti de la nouveauté. Il compose des haïkus particulièrement émouvants et en devient l’un des grands maîtres. Cette belle édition bilingue permet de les découvrir à travers une sélection de 693 poèmes classés chronologiquement. Nous pouvons ainsi le suivre, de temple en temple, cheminer vers son but : trouver un lieu où vivre et mourir en paix, au cœur d’un ermitage sur l’île de Shôdoshima, entre nuage et eau.

Stéphane Bataillon
(Article initialement paru dans La Croix l’hebdo n°231 du 3 mai 2024)